La nef des damnes
tues. Une agitation indescriptible régnait sur le pont. Dans la mâture grimpaient d’autres matelots, leurs couteaux entre les dents. Le tissu goudronné avait pris feu et les flammes le dévoraient à une vitesse effarante.
Ils passaient à côté de l’ancre du dromon quand le mousse étouffa un cri. Debout sur la patte de l’ancre, une silhouette se tenait en équilibre.
— Messire, messire ! cria Bertil en attirant l’attention d’Hugues et de Corato vers le dromon. Le jarl ! C’est le jarl. Regardez ! C’est pas un homme, ajouta-t-il fasciné et effrayé à la fois : c’est un diable !
Levant sa hache, l’Orcadien frappait le flanc du navire à coups redoublés.
— Il veut ouvrir une brèche dans la coque, murmura Hugues en secouant la tête.
— Un archer, messire, un archer l’a vu ! s’écria 1 ‘ enfant.
Alors qu’à bord du dromon nul jusqu’à présent ne semblait s’être aperçu de sa présence, un archer isolé se penchait par-dessus bord et visait le jarl.
Hugues allait saisir son arc quand un trait, partant de derrière lui, siffla près de son oreille. Là-bas, le pirate, la gorge percée de part en part, bascula dans la mer. L’Oriental se retourna et se retrouva face à Eleonor.
— C’est vous... Que faites-vous ? Retournez à l’abri dans votre cabine ! Vite !
La jeune fille avait à nouveau levé son arc, et quelques secondes plus tard, malgré la distance qui se creusait entre les navires, un autre Sarrasin s’effondrait, puis un autre encore.
La chaleur de l’incendie était telle qu’à bord du dromon les mercenaires avaient reflué vers l’avant malgré les ordres de leurs officiers. Le château central était devenu inutilisable. Des servants armaient à nouveau la baliste arrière. Un boulet passa en sifflant au-dessus du knörr. Eleonor se jeta à genoux puis se redressa, bandant à nouveau son arc avant de l’abaisser. Elle était trop loin.
— Vous avez besoin d’un tireur sur le gaillard arrière, messire.
À la grande surprise de la jeune femme qui s’attendait à quelque réprimande, Hugues demanda :
— Quelle est votre portée ? Cinquante toises ?
— À peu près. Vous avez plus besoin de moi ici que cachée sous mes couvertures !
La repartie amena un sourire sur le visage fatigué de l’Oriental :
— Je vous imagine mal ainsi.
— Quand nous reviendrons, nous aurons le vent pour nous, le commandant du dromon sera ma cible.
— Si vous tirez sur lui, ses archers ne vous laisseront pas une seconde chance.
— Alors ma première flèche sera la bonne.
UNE MER DE FEU
15
Le rais chassé par le feu avait gagné l’avant du dromon. Il faisait les cent pas, s’arrêtant de temps à autre pour observer le pont, les fosses, la mâture où grimpaient les marins. Malgré son tempérament sanguin, c’était un homme lucide et un guerrier. Pour l’instant, il voyait non seulement, et cela le mettait dans une rage noire, ses projets de prises s’évanouir, mais aussi la possibilité de perdre son navire.
Le feu sur le château central était éteint, mais celui-ci, trop proche des flammes, restait inutilisable. Seules les machines avant et arrière pouvaient tirer. Si ses hommes n’arrivaient pas à détacher la voile en feu... Et puis ce mât était celui qui était endommagé... S’il tombait... Alors qu’il fixait l’incendie, il vit un homme se jeter dans le vide pour échapper aux flammes. Son corps explosa comme une outre sur le pont, éclaboussant les soldats de son sang et de ses viscères.
— Votre Altesse...
— Envoyez davantage d’hommes là-haut ! Nettoyez les dégâts dans la fosse et jetez les cadavres par-dessus bord !
— Bien, Votre Excellence.
Le commandant continua à faire les cent pas, puis s’arrêta net, sa décision prise. Aucun de ses officiers n’était assez bon marin pour le sortir de là. Seul l’homme qu’il avait fait fouetter pouvait le seconder.
— Allez me chercher le Franc ! ordonna-t-il.
Désemparé, l’officier regarda dans la fosse dont les soldats dégageaient les bancs.
— Peut-être est-il mort, Votre Excellence...
— Crois-tu que je l’ignore ?
— Non, ô ra’is.
— Alors, trouve-le et ramène-le-moi ! S’il est mort, je veux voir son cadavre à mes pieds... Mais il vaudrait mieux pour toi qu’il soit vivant.
Quelques instants plus tard, des mercenaires revenaient, soutenant le marin franc. Ses vêtements
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