La nef des damnes
monde... Elle se reprit, le moment n’était plus à la rêverie, des hurlements sur le pont lui rappelaient le combat qu’elle avait décidé de mener. Habile au tir à l’arc, elle craignait moins de se battre que d’attendre que l’ennemi vienne l’arracher au sombre réduit qui lui servait de cabine.
13
L’esnèque longeait le dromon malgré les boulets expédiés par la tour centrale et la tour arrière.
— Souquez ! souquez ! gueulait Knut.
Des boulets frappaient la mer autour d’eux.
— Souquez ! Plus fort ! hurlait le Norvégien en se jetant en arrière sur son banc de nage.
Les rameurs tiraient sur le bois mort avec l’énergie du désespoir. Une seconde volée de boulets rata son Ibut. Harald manœuvrait pour se rapprocher du flanc de la galère. Il espérait se placer si près des longues
rames que les servants ne pourraient plus tirer.
— Levez bâbord ! ordonna Knut.
D’un seul mouvement, toutes les rames se dressèrent, scintillantes d’écume. Presque simultanément, un boulet fit éclater le bordage, projetant des éclats de bois sur le pont, puis le silence retomba. Les balistes s’étaient tues. Aussitôt, les flèches des guerriers fauves s’envolèrent, blessant et tuant soldats et officiers ennemis. La réponse du ra ’ is ne se fit pas attendre et une pluie de neige, courtes flèches ornées de plumes de cygne, descendit vers l’esnèque. Les traits des archers sarrasins se plantèrent un peu partout sur le « serpent ».
Un brouhaha de cris de douleur, de chocs, d’ordres et d’appels résonnait sur l’esnèque. Knut s’était précipité, tirant un blessé à l’abri, ordonnant aux hommes de réserve de pousser les cadavres et de prendre leurs places sur les bancs de nage. Les guerriers fauves avaient levé leurs boucliers pour se protéger avant de décocher une nouvelle volée de traits.
— Souquez tribord ! Souquez bâbord et tribord ! ordonna le géant norvégien alors que les Sarrasins ripostaient.
L’esnèque réagit à l’impulsion de ses rameurs et s’écarta avec souplesse du flanc du dromon, s’exposant à nouveau au tir des machines de guerre dont les boulets ouvrirent des cratères de part et d’autre de sa coque. Le jarl avait rejoint Knut et les deux hommes discutaient avec vivacité. Ils allaient bientôt doubler l’arrière du navire ennemi. Enfin, le Norvégien haussa les épaules et, malgré les mouvements de la houle, se leva de son banc et partit en courant vers l’arrière. Une fois près du stirman, il cria pour se faire entendre.
— Notre armement est insuffisant, Harald. Le jarl demande que tu t’approches au plus près de l’ancre.
— Continue.
Tout en écoutant son ami, le stirman restait concentré, éloignant son navire du danger.
— Il a l’intention d’ouvrir une brèche dans la coque du dromon et de passer à bord avec ses guerriers.
Pour le coup, Harald frappa le hel du plat de la main et partit d’un rire sonore.
— Il veut passer à l’abordage ! À dix contre cent ! Notre jarl aura de quoi composer un chant, mais plus aucun d’entre nous ne sera là pour l’entonner ! ?
— Je le sais bien, répondit le maître de la hache.
— Et tu ne vois rien d’autre à faire, ni moi non plus. Alors obéissons.
Knut repartit vers l’étrave. Les guerriers avaient préparé des grappins. Magnus ôta son épée et attacha sa hache dans son dos.
14
Le knörr longeait maintenant le flanc du dromon. La machine de guerre dressée sur la tour de combat avant restait muette et les Sarrasins paraissaient plus préoccupés par les mouvements de l’esnèque que par les leurs.
Hugues avait vu les manœuvres d’Harald et il songea qu’il n’aurait que peu de temps pour agir. Le Barbaresque continuait sur sa lancée, les deux navires normands se trouveraient bientôt derrière lui et tous devraient faire demi-tour pour s’affronter à nouveau comme dans quelque gigantesque tournoi. Par contre, eux reviendraient avec le vent de sud-ouest, ce qui ne serait pas le cas du lourd bateau sarrasin.
— Nous ne tirons pas, messire ? demanda fébrilement le mousse que la vision et le vrombissement sonore des boulets avaient terrifié.
— Pas encore, petit. Pas encore.
Hugues observait les voiles carrées et le château central où s’agitait le ra’is , le commandant du dromon, reconnaissable à ses somptueux vêtements pourpres.
Les flèches des guerriers fauves avaient atteint
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