La nef des damnes
leurs cibles et des marins évacuaient des blessés sur leur dos.
— Plus près, plus près, demanda-t-il à Corato.
— Levez bâbord ! hurla le Byzantin.
L’ordre se répercuta et, d’un seul geste, les marins soulevèrent les pelles.
— Bertil, un carreau enflammé !
Le gamin se précipita. Hugues déclencha l’arbalète et le trait, passant par-dessus le dromon, alla s’abîmer dans la mer où il grésilla et disparut.
— Trop court.
Hugues avait déjà rechargé, aidé par le mousse. Le nouveau tir frappa le mât arrière. Un second suivit très vite, se plantant tout près du premier, des langues de feu enflammèrent les cordages. Aussitôt fusèrent les ordres des officiers sarrasins, des marins se lancèrent dans la mâture. Sur le pont, Tancrède avait, lui aussi, ordonné à ses hommes de décocher. Des traits de feu s’envolèrent.
Le plan d’Hugues était à la fois simple et désespéré. Les ponts et les mâts enduits de goudron et de poix, les voiles, le bois de la coque, sans parler des tonneaux de soufre ou de naphte, ne demandaient qu’à s’embraser. Leur seule chance, avec le peu d’armement qu’ils possédaient, était d’enflammer les voiles et surtout celle du mât situé près de la poupe. Étant donné la direction du vent, cela gênerait à la fois l’efficacité du tir de la tour centrale et les manœuvres du gouvernail sur le château arrière. Et si le feu prenait à l’ensemble... il n’y aurait plus de salut pour les pirates.
— Ils vont tirer ! hurla Corato en voyant les mercenaires aux torses bardés de cuir et de métal accourir vers le bordage au-dessus d’eux et, sur l’ordre des officiers, bander leurs arcs.
Le capitaine n’avait pas fini sa phrase qu’une volée de flèches arrosa le pont. Hugues se précipita vers Bertil qu’il projeta au sol. Le sifflement se tut. Le répit serait de courte durée, les arcs se relevaient déjà. Bjorn et Tancrède avaient riposté, envoyant les premières falariques. Les longs javelots s’étaient plantés dans les montants de la tour de combat et dans les bordages, enflammant la résine et le goudron qui les recouvraient. Une seconde volée de traits fila vers le knörr.
À plat ventre, les mains sur la tête, Bertil entendait les chocs sourds des impacts autour de lui. Il se hissa en s’agrippant à la rambarde, contemplant d’un air effaré le pont en contrebas où des rameurs gisaient en travers de leurs bancs, le corps transpercé de flèches. Les arcs ennemis se levaient à nouveau. Le maître de nage hurlait ses ordres. Des matelots se précipitaient pour tirer leurs compagnons vers le dortoir. Les traits se plantèrent autour d’eux. Sur le pont, Tancrède et ses hommes changeaient de place, ajustant leurs tirs, sautant par-dessus les corps, s’abritant et se redressant pour décocher à nouveau.
— Nous devons nous éloigner ! s’écria Corato, brisant d’un geste rageur le bois de la flèche qui s’était plantée dans le hel.
Sur le dromon, les mercenaires avaient réussi à éteindre le feu de la tour de combat.
— Non, pas encore ! cria Hugues. Bertil, un carreau enflammé !
— Sciez à casser Terre ! ordonna Corato.
L’ordre se répercuta, les marins avaient immergé les pales de façon à freiner la marche du knörr. La peur au ventre, le gamin se concentra sur les gestes que lui avait appris l’Oriental. Les carreaux lui paraissaient plus lourds, l’angoisse ralentissait ses mouvements et faisait trembler ses mains. Le projectile fila vers la voile arrière où, déjà, les flèches de Tancrède et de ses archers avaient fait des ravages.
Un nouveau jet de neige plana vers eux.
— On s’éloigne ! ordonna Hugues.
— Déhalez ! gueula Corato.
— Nagez partout ! hurla le maître de nage. Souquez, les gars, souquez !
Les hommes valides se courbèrent sur leurs rames, le knörr réagit, s’écartant du flanc du dromon. Les flèches tombèrent à la mer ou se plantèrent dans le bordage. Le garçon poussa un cri de joie.
— Un carreau enflammé, vite ! ordonna Hugues.
Oubliant sa peur, l’enfant plongea le trait qu’il avait préparé dans la poix puis dans le brasero, faisant s’enflammer l’étoupe. Quelques secondes plus tard, le projectile allait se planter dans le mât, ravivant l’incendie que les pirates essayaient d’éteindre.
— Messire, regardez ! cria Corato.
Ils longeaient la poupe où les machines de guerre s’étaient
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