La nef des damnes
frapper avec fureur.
Au-dessus de lui, une barre de feu s’était levée, empêchant toute retraite des hommes du gaillard d’arrière vers l’avant. Les rames s’abîmaient dans la mer avec des espars en flammes.
Les galériens, enchaînés à leurs bancs, incapables de se libérer, brûlaient dans les fosses en hurlant. Les gardes essayaient de fuir vers le pont et se heurtaient aux mercenaires qui pensaient trouver un abri dans les cales. Des hommes tombaient à terre, piétinés, d’autres se faisaient transpercer de part en part par les épées des soldats, d’autres encore se jetaient à la mer. Il n’y eut bientôt plus personne à la poupe qu’un jeune officier entouré de cadavres calcinés. La chaleur de l’incendie était insupportable, mais malgré cela le jeune homme restait immobile, comme hypnotisé par les flammes qui rampaient vers lui.
Il ne savait pas nager et l’idée de sauter le terrifiait presque autant que celle d’être brûlé vif. Son arbalète à la main, il finit par reculer jusqu’à ce que ses reins heurtent le plat-bord. C’est alors qu’il entendit les coups donnés par l’Orcadien. Il se pencha et aperçut, incrédule, un homme accroché à l’ancre à quelques toises au-dessous de lui.
Peut-être était-ce là ce qu’il attendait ? La seule chose qui lui permettrait d’oublier sa propre mort. En tout cas, c’était l’occasion d’un ultime combat. Il cria à l’autre de se rendre. Magnus leva la tête et, pendant un moment, leurs regards se croisèrent. L’Orcadien avait intuitivement compris les paroles de l’autre et le défia de venir se battre sur le bras de l’ancre. Le carreau partit si vite qu’il n’eut pas le temps de l’esquiver et qu’il traversa son gilet de cuir et sa chair, ressortant de l’autre côté. Magnus resta un moment abasourdi puis, lentement, s’affaissa sur lui-même, sa main laissant échapper sa hache. Au-dessus de lui, le jeune officier n’eut pas le temps de se réjouir de sa victoire, il avait été rejoint par les flammes et, grimpant sur le bordage, il se jeta à la mer en poussant un grand cri. Son corps tournoya dans le vide puis il toucha les vagues. Alourdi par son gilet de cuir et l’arbalète qu’il avait gardée à l’épaule, il s’enfonça aussitôt dans les profondeurs.
Knut, qui se tenait au centre de l’esnèque, se précipita vers le stirman.
— À bâbord toute ! La tour va tomber ! La tour va tomber ! hurla-t-il à Harald qui poussa le hel en avant pour virer.
La tour de combat bascula dans la mer, entraînant dans sa chute la lourde baliste qui la surmontait. De hautes vagues soulevèrent le « serpent », les embruns balayèrent le pont.
— Où est Magnus ? cria Harald.
— Il est tombé en travers de l’ancre. Je ne sais s’il est mort ou vivant.
— Jetez l’ancre flottante !
L’esnèque s’immobilisa à une centaine de toises du dromon. Seule la proue était encore épargnée par les flammes. Désemparée, la galère dérivait, poussée par des rafales qui avivaient l’incendie.
18
Le knörr la longeait quand la seule machine de guerre encore capable de tirer tourna sur son axe, pointant vers le navire marchand. Hugues observa le manège du ra’is et des naffatun qui s’activaient autour de l’arbalète à treuil avant de se précipiter vers la rambarde et de crier :
— Feu grégeois ! Tancrède, tirez sur les servants ! Vite !
Le pont était à peine nettoyé et débarrassé des décombres. Tancrède et Bjorn se ruèrent vers l’étrave avec leurs arcs, visant les hommes qui allaient et venaient avec des pots autour de la lourde machinerie. Eleonor décocha une flèche qui alla se planter au pied d’un des servants. Hugues arma sa baliste, mais les restes du mât le gênaient pour tirer. Un pot de fer fila vers eux, et s’abîma dans la mer à quelques coudées de l’épée.
— Éloignez-vous, Corato, vite !
— Bâbord ! Nagez ! hurla Corato en appuyant sur le hel, jurant et se maudissant de n’avoir pas jeté toutes ses marchandises à la mer.
Par chance, le vent était pour eux et la houle les poussait. Ils glissèrent le long de l’épave. Hugues réglait son tir pour toucher la machine ennemie, il allait décocher. C’est à ce moment que tout bascula.
Une flèche de Tancrède avait atteint l’un des naffatun qui roula au sol avec le pot de fer qu’il allait déposer sur le rail de la baliste. Le pot s’ouvrit en touchant
Weitere Kostenlose Bücher