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La nef des damnes

La nef des damnes

Titel: La nef des damnes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Viviane Moore
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l’avait-il désigné pour être abbé ? Voulait-il le punir de quelque faute ?
    — Mon père !
    Il sursauta en apercevant la longue silhouette encapuchonnée dressée devant lui.
    — Mon père, c’est moi, frère Henri, votre camérier, insista la voix. Vous vous sentez bien ?
    Censius cacha le tremblement de ses mains dans ses manches. Il arrivait de moins en moins à dissimuler sa peur.
    — Euh, oui... Très bien. Je... Je réfléchissais au texte pour le prochain office et... et à celui pour le réfectoire. Que me voulez-vous ?
    — Un de nos frères vient de nous signaler deux bateaux en approche.
    — Des... Des bateaux... Quel genre de bateau ?
    Censius grinça des dents comme à chaque fois que quelque chose le troublait. La mer dans ces parages était peu sûre et les Barbaresques razziaient souvent la côte et les îles, emmenant en captivité les malheureux qu’ils n’avaient pas tués.
    — Des navires normands, mon père. Un navire marchand escorté d’un navire de combat, ils se dirigent droit sur nous.
    — Ah ! Bien, bien. Des Normands...
    Le grincement reprit.
    — Si vous m’en donnez l’autorisation, je vais prévenir le frère hôtelier.
    Censius ne répondit pas. Sa pensée s’égarait à nouveau. Ne faudrait-il pas se méfier de ces Normands ? N’étaient-ils pas dangereux, eux aussi ? Peut-être allaient-ils piller le monastère et les tuer tous ? Peut-être ...
    — Mon père ! insista le camérier. Vous ne m’avez pas répondu.
    — Mais à quoi ?
    Nouveau grincement de dents.
    — Je vous demandais si j’allais prévenir frère Joce. Nous devons recevoir ces Normands s’ils requièrent notre hospitalité, n’est-ce pas ?
    L’abbé chercha ce qu’on attendait de lui. Devait-il répondre par oui ou par non ? Devait-il donner des instructions détaillées ? Comme d’habitude, il opta pour une retraite prudente.
    — Faites au mieux, mon frère, faites au mieux.
    — Je pense, reprit l’autre, qu’il vous faudra les recevoir.
    Une lueur affolée passa dans les yeux de l’abbé.
    — Je serai près de vous si vous le désirez, le rassura le camérier. Nous pourrions les convier à un repas au réfectoire.
    — Oui, oui. Nous ferons ainsi.
    Censius n’avait plus qu’une hâte : se retrouver enfin seul. Il passait sans cesse sa main sur son crâne rasé et grinçait des dents sans plus pouvoir s’arrêter.
    Le camérier s’inclina :
    — Pardonnez-moi de vous avoir interrompu dans vos réflexions, mon père. Je veillerai à ce que nul ne vous dérange.
    Il n’y eut aucune réponse, l’abbé avait rouvert son livre, regardant sans les voir les enluminures qui dansaient sous ses yeux. L’autre sortit aussi discrètement qu’il était entré.

 
    25
    Frère Albéron leva son tranchoir et l’abattit de toutes ses forces sur le poisson couché en travers du plan de travail. Le sang gicla, éclaboussant son tablier, ruisselant sur le bois avant de s’écouler dans les rigoles creusées dans le sol. Un nouveau geste et un large morceau de thon alla rejoindre les autres. Le frère cuisinier essuya ses mains ensanglantées sur son tablier puis retourna au chaudron sous lequel se consumaient des brandes de bruyère.
    — Pose ça où tu peux, conseilla-t-il au religieux qui attendait dans l’encadrement de la porte.
    Le moine Paul avait apporté les langoustes qu’il avait pêchées à l’aube dans les rochers. Albéron, né à Toulon, savait cuisiner ces choses-là. Il en faisait une soupe épicée qu’aimaient les frères et à laquelle il donnait le nom étrange de caldereta de llagosta , une recette ramenée des Baléares par un marin génois. Les deux religieux se connaissaient depuis bientôt vingt ans, mais il avait fallu la promiscuité du Castelas pour qu’ils deviennent enfin amis.
    Une fois le panier de langoustes sur un coin de table, Paul se tourna vers le gros frère qui s’activait toujours à la cuisson. Une bonne odeur de lard et d’oignon chatouillait ses narines, effaçant celle, plus fade, du sang. Par la meurtrière qui ouvrait sur le large entrait un rayon de lumière et un lourd parfum de sel et d’algues.
    — Regarde sur la tablette, là-bas, fit le cuisinier. Tu es parti tôt pour relever tes filets ce matin, je pensais que tu aurais faim.
    — Merci, fit Paul en saisissant le morceau de pain, l’oignon et le fromage de chèvre préparés par son ami. Mais je peux pas rester, tu sais.
    — Assieds-toi et

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