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La nef des damnes

La nef des damnes

Titel: La nef des damnes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Viviane Moore
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tour. Tancrède courut vers la limite des vagues. Malgré la douleur qui irradiait jusqu’à son épaule, il ajusta sa cible et tira. La flèche vola au ras des vagues et alla se planter dans l’omoplate du Diable de la Seudre qui bascula au fond de l’embarcation.
    — Joli tir, approuva Hugues.
    Là-bas, Richard s’était courbé sur les avirons. Il s’éloignait de la rive, entraîné vers le large par un fort courant.
    — Je peux encore avoir l’autre, répondit calmement Tancrède en saisissant une seconde flèche.
    — Laissez-les ! Ils n’iront pas loin. La tempête sera sur eux dans peu de temps. Et maintenant, montrez-moi votre main.
    Une profonde entaille remontait jusqu’à l’avant-bras. Hugues fit doucement manœuvrer les doigts.
    — Je vais vous bander. Il ne vous a pas manqué, mais vous n’avez rien de cassé, remarqua-t-il. Il va falloir que je nettoie avant que l’infection ne s’y mette.
    — À l’aide, messire Hugues ! appela frère Albéron. À l’aide !
    Hugues se retourna et son cœur se serra. Le moine était penché sur le corps inanimé d’Eleonor et il s’affolait.
    L’Oriental avait bien vu la jeune femme basculer, entraînée par son ravisseur, mais sans songer qu’elle ait pu se blesser dans sa chute. Les deux hommes se précipitèrent.
    — Elle ne bouge pas, messire ! s’écria le moine. Son front a heurté cette satanée pierre ! Que Dieu me pardonne !
    Eleonor était livide, ses yeux clos, ses lèvres pincées. Un filet de sang coulait de la racine de ses cheveux noirs jusqu’à son menton.
    — Eleonor ! murmura Hugues en s’agenouillant. Eleonor ! Je vous en prie.
    L’Oriental posa son oreille sur sa poitrine. Un faible battement lui parvint.
    — Elle respire, murmura-t-il pour lui-même.
    Et Tancrède eut l’impression que son maître, en disant ces mots, recouvrait son propre souffle. Malgré le tremblement de ses mains, ses gestes avaient repris de l’assurance. Il avait, avec une infinie douceur, dégagé les cheveux et examiné sa plaie. Albéron lui tendit sa gourde. Hugues déchira un pan de sa chainse, mouilla le tissu et nettoya le visage et les yeux souillés de sable.
    — Eleonor, revenez à vous ! répétait-il. Je vous en supplie, Eleonor.
    Mais la jeune femme ne bougeait toujours pas. Sous son hâle, Hugues avait pâli. Et puis un imperceptible frémissement agita Eleonor qui ouvrit les paupières.
    Un peu de rose revint à ses joues. Pendant un temps, elle ne parut pas voir ceux qui P entouraient puis son regard s’affermit, avant de se perdre dans celui de l’Oriental penché au-dessus d’elle. En cet instant, tout ce qu’Hugues retenait depuis si longtemps, ce sentiment qu’il avait voulu éteindre, cette passion qui le consumait et à laquelle il refusait de céder, jaillit d’un coup. Il la prit dans ses bras, baisant son visage, ses mains, ses lèvres, ses yeux.
    Tancrède se détourna et descendit lentement vers les vagues. Il se rappelait un proverbe arabe que lui avait enseigné son maître : Pour bien aimer une femme, il faut l’aimer comme si elle devait mourir demain.
    L’amour qu’éprouvait Hugues pour la jeune Normande jetait le désordre dans son esprit. Il n’y avait pourtant plus la moindre trace de jalousie en lui et ce n’était pas non plus le fait de voir son maître épris d’une femme. Tout au long de ces années nomades, elles avaient été quelques-unes à vouloir partager sa couche. Le charme de l’Oriental, la finesse de ses traits quasi féminins, sa rudesse au combat et sa courtoisie ravissaient autant les jeunes bourgeoises que les nobles dames. De jolies liaisons, des amours de passage où chacun s’en va le corps rassasié et l'âme vide. Là, Tancrède le voyait, c’était autre chose. Et c’était comme si la nature même de son maître lui avait échappé. Comme si Hugues devenait un étranger. Un autre. Il n’aurait jamais pu imaginer qu’en cet homme impassible couvait un feu si ardent. Il savait si peu de chose sur Hugues de Tarse ! Sur son passé. C’était un homme secret. Comme cet Orient mystérieux qu’il peinait à se représenter.
    Tout rougissant, le frère Albéron vint le rejoindre.
    — Ils ont réussi, fit-il en désignant la nef vert pâle de sa main valide.
    Là-bas, Richard avait accosté le long du paro et y avait hissé le Diable. Ce dernier s’était redressé, soutenu par son frère qui l’attacha à la barre avec sa ceinture. Richard

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