La nef des damnes
voulu prévenir son maître du danger qu’il courait, 1 ‘ avertir que les moines qui se tenaient devant lui étaient des pirates, mais la voix calme du Diable continuait :
— Il a été tué d’une flèche pendant l’assaut du monastère. Quant à ce pauvre Grégoire, ils l’ont assassiné.
Le visage d’Hugues s’assombrit encore et sa voix était sèche quand il dit :
— Richard, si vous voulez vous approcher des coffres.
Richard saisit frère Henri qu’il poussa brutalement devant lui.
— Si vous essayez de me tuer, il mourra avant moi, menaça-t-il.
— Telle n’était pas mon intention, rétorqua Hugues dont les prunelles s’étaient étrécies.
Un des guerriers fauves sortit un trousseau de clefs d’un sac de cuir et entreprit d’ouvrir les coffres les uns après les autres. Puis il prit position derrière l’un d’eux tandis que deux guerriers se plaçaient derrière les autres. Au signal d’Hugues, ils les ouvrirent d’un seul geste.
Richard et frère Henri s’approchèrent. Le premier coffre contenait une cape de velours rouge brodée digne d’un roi, faite dans les ateliers de Bayeux, elle paraissait le digne pendant de celle de Roger II de Sicile. Le deuxième coffre contenait des grimoires anciens et des parchemins, le troisième un reliquaire ouvragé.
— Celui-ci est le plus précieux, un magnifique présent offert par le roi Henri II à Guillaume I er de Sicile, déclara Hugues. Une relique de saint Thomas, pêcheur de Galilée, disciple du Christ, le patron des maçons et des architectes.
Et tout en disant cela, Hugues leva la main.
C’était le signal. Les flèches d’Hakon frappèrent les rangs des pirates, Tancrède roula sur lui-même pour se mettre à l’abri, Dreu rampa jusqu’à la civière du jarl pour le protéger de son corps. Autour d’eux la bataille se déchaînait.
Hugues avait sauté sur frère Henri, posant son poignard sur sa gorge. Celui-ci n’avait pas eu le temps de sortir le sien. Ses yeux lançaient des éclairs, mais il ne bougeait pas.
Autour d’eux, la bataille tournait déjà en sa défaveur. Les pirates, pris entre les traits envoyés par les hommes d’Hakon et l’avancée des guerriers fauves qui faisaient tournoyer leurs haches, se débandèrent, essayant de s’enfuir. Hakon et ses soldats rejoignirent les rangs des Normands. Seul Richard, armé d’un croc et d’un coutel de corps à corps, se battait encore.
— Si vous donniez l’ordre à vos hommes de se rendre ?
— Vous saviez donc qui j’étais... commença le Diable.
Le Diable allait jeter son ordre quand soudain retentit un cri de femme. Trop occupée à tirer, Eleonor n’avait pas fait attention à Costans qui, après avoir rampé à l’abri des rochers, s’était jeté sur elle.
— Lâchez-le ou je l’égorgé, ordonna-t-il. Faites cesser le combat et ordonnez à vos hommes de reculer vers les bateaux.
Tancrède, qu’Hakon avait libéré, avait rejoint son maître et sur un signe de celui-ci sonna du cor. Aussitôt tous s’immobilisèrent.
Les pirates survivants, ils n’étaient plus que trois, s’enfuirent sans demander leur reste. Rohard se libéra de l’étreinte d’Hugues et rejoignit son frère et Richard.
— Lâchez-la ! gronda Hugues en avançant d’un pas.
— Restez où vous êtes, gueula Costans qui ne faisait pas mine de libérer sa captive.
Eleonor, dont le regard suppliant avait croisé celui d’Hugues, était figée comme une statue ; un mince filet de sang coulait de sa gorge meurtrie par le poignard.
— Si vous nous suivez, je la tue, reprit Costans.
Personne n’osa bouger. Entraînant la femme, les naufrageurs quittèrent le rivage et remontèrent vers la ferme.
— Le paro est ancré en face de l’anse du Layet, jeta Tancrède à son maître. On ne peut les laisser faire, ils vont la tuer.
— Je sais, répliqua son maître.
Hugues n’avait pas eu le temps de se réjouir de leurs retrouvailles, il aurait voulu serrer le jeune homme dans ses bras et, au lieu de cela, il essayait de calmer l’agitation qui troublait son jugement, de ne pas penser à ce qu’un homme comme Rohard pourrait faire à Eleonor, de se rappeler les chemins de l’île, se maudissant de ne pas les avoir étudiés plus attentivement. Frère Albéron, le gros cuisinier, son bras en écharpe, s’approcha :
— Je peux vous conduire jusque là-bas sans passer par les sentiers et nous y serons avant eux, déclara-t-il.
La
Weitere Kostenlose Bücher