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La nef des damnes

La nef des damnes

Titel: La nef des damnes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Viviane Moore
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s’affairait sur le pont, il jetait les cadavres des gardes à la mer, courait jusqu’au mât pour hisser la voile.
    — Ce monstre a la couenne dure ! observa le moine. Pourtant vous l’avez eu, j’en suis sûr. Il aurait dû en crever. Au lieu de cela, il tient la barre ! Ce sont des démons et c’est pas un bateau normal, ce paro. C’est la nef des damnés. Mais peut-être Dieu, qui nous voit, en a assez. Regardez la couleur du ciel et des vagues autour d’eux. Ils appareillent vers l’enfer.
    Le paro avait levé l’ancre. Il hésitait, chahuté par les bourrasques de vent et la puissance des lames qui se brisaient soudain sur sa coque, puis d’un coup, son étrave pointa vers le large.
    La silhouette de Rohard se courba sur la barre. Le navire s’éloigna vers la haute mer, affrontant une houle de plus en plus grosse. Les flots et le ciel étaient si noirs qu’on eût dit que la nuit venait de dévorer le jour. Privée de lumière, la tache verte s’effaça. Comme si elle n’avait jamais existé.

 
    54
    Après une de ces tempêtes aussi violentes que brèves dont était coutumière la mer intérieure, la surface de l’eau redevint lisse et calme comme celle d’un lac. L’air était doux et tiède, empli de chants d’oiseaux. La nuit venait. La cloche du Castelas sonna, appelant au repas. Moines, marins et guerriers se rassemblèrent dans le réfectoire, coude à coude autour des tables, à dévorer le pain et à boire la soupe.
    Les pirates qui s’étaient échappés furent rattrapés par les guerriers fauves et exécutés, on avait enterré les morts, pansé les blessés et Hugues avait fait main basse sur les potions et les bandages de frère Grégoire pour soigner les plus éprouvés.
    — Si vous nous disiez ce que nous ne savons pas, messire ? demanda le chancelier Osmond qui avait pris la tête de la petite communauté.
    — Oui, approuva Magnus le Noir qui, pour la première fois depuis la bataille avec le dromon, avait regagné sa place parmi eux. Racontez-nous, Hugues.
    Les religieux hochèrent la tête en signe d’assentiment. La plupart d’entre eux n’avaient pas compris pourquoi ils s’étaient trouvés saisis dans un tel déchaînement de violence. Ils ne pouvaient savoir qu’ils avaient été l’appât du piège savamment préparé par le Diable de la Seudre.
    À la demande de tous, Hugues se leva donc. Ce qu’il n’avait pas deviné, un des pirates le lui avait confié avant de mourir.
    — Du moment où nous avons vaincu le Diable et où nous avons tué son frère Allard à Maillezais, Rohard s’est juré de nous passer par le fer. En homme de ressource, il s’est servi de son pilote, un Génois, pour recruter celui qui allait nous guider...
    — Jacques ! s’écria Pique la Lune. Paix à son âme, mais il m’a jamais plu, ce gaillard-là.
    — À moi pas davantage, renchérit Harald.
    — Ni moi, affirma Knut.
    — Jacques qu’il a grassement payé pour nous conduire ici, reprit Hugues, et qui devait aussi l’aider à dérober le trésor.
    — Mais qui a tué Jacques ? demanda soudain Bertil, que l’effroyable souvenir de l’assassinat faisait encore frémir.
    — Je pense, vu ce que tu nous as raconté, que c’était le Diable lui-même, il ne faut pas oublier qu’il était venu examiner le campement et même le trésor sous le prétexte de marchander le bois.
    — Mais nous ? demanda Osmond. Que venions-nous faire là-dedans ?
    — Malheureusement pour vous, et à cause de votre lien avec frère Dreu, vous étiez l’élément le plus important du piège que Rohard avait imaginé. L’appât. Il savait ne pas pouvoir nous attaquer de front en Méditerranée. Le paro ne faisait pas le poids face à l’esnèque et au knörr. Il savait aussi que nos escales foraines étaient si bien surveillées qu’il ne fallait pas espérer nous surprendre à terre. Il ne restait donc rien d’autre qu’à nous laisser aller où nous voulions... Et à nous y attendre.
    — Mais il a tué tant des nôtres ! s’exclama Osmond qu’un sentiment d’incrédulité horrifiée n’avait pas quitté.
    Pour lui comme pour les autres religieux, tout cela avait été un cauchemar. Quelque chose qui n’aurait pas dû exister et contre lequel ils n’avaient d’autres armes que la prière. Les seuls d’entre eux qui avaient voulu tenir tête aux pirates avaient été massacrés sauf le frère portier Jean qui, bien que sérieusement blessé, avait réussi à

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