La nièce de Hitler
convaincue.
— Il y en a beaucoup qui ne le sont pas, dit
Mayer en joignant les mains. Alors, vous aimez l’Allemagne, malgré le climat
politique ?
— Oui. C’est un beau pays.
— Bon. Cela fait combien de temps
maintenant que vous vivez ici ?
— Quatre ans.
Il fronça les sourcils en continuant son
inventaire.
— Vous êtes heureuse ?
Elle se sentit offensée d’une certaine façon.
— Pourquoi cette question, père Mayer ?
— La Fräulein d’aujourd’hui n’est pas
celle que j’ai rencontrée il y a sept ans.
— Je suis plus vieille, dit-elle.
— Non. Je le vois bien. Le joug n’est pas
facile à supporter.
Les larmes lui brouillèrent la vue et elle se
détourna pour les retenir. Décidément, elle pleurait pour un oui ou pour un non
à présent. Elle entendit le prêtre lui parler.
— Ça va, Fräulein Raubal ?
Elle hocha la tête et agita la main. Pour lui
dire de partir. Elle finit sa bière et repoussa la chope tandis que le prêtre
touchait son chapeau et se préparait à traverser Neuhauserstraße, appuyé sur sa
canne. Elle le regarda attendre qu’un flot de camions soit passé, puis elle se
leva et se dirigea vers lui d’un pas hésitant.
— Quelle circulation ! sourit-il.
— C’est vrai, lui dit-elle. Je ne suis
pas heureuse.
— Cela ne me surprend pas, répondit-il d’un
ton compatissant.
— Vous voulez bien m’entendre en
confession ?
XVIII
18 septembre 1931
Sa décision était prise. Après la messe en l’église
Saint-Michel ce dimanche, à laquelle Hitler l’avait autorisée à assister, à
contrecœur et en la couvrant de sarcasmes, elle se rendit à pied chez Adolf
Vogl pour annuler ses leçons de septembre et lui demander s’il connaissait
quelqu’un avec qui elle pourrait étudier à Vienne. Comme il était membre du
parti, elle lui dit qu’elle n’y resterait que quelques mois. Vogl lui conseilla
de passer une audition auprès de son propre maître de chant, le Professor Otto
Ro, et lui donna une lettre d’introduction.
Le lundi 15 septembre, Willi Schmidt, important
critique musical de Munich, accueillit Geli dans son bureau et, penché sur le
côté dans son fauteuil à haut dossier, il l’écouta chanter « Domine Jesu »
du Requiem de Mozart, et « Lacrymosa » du Requiem de
Verdi. Puis il écrivit un mot de recommandation de trois paragraphes qui
qualifiait la jeune dame de délicieuse, louait aimablement la beauté de sa voix
et la régularité de sa respiration, et suggérait qu’elle serait au meilleur d’elle-même
dans les lieder.
Elle fut d’accord avec lui. Elle dit à Schmidt,
qui lui n’était pas membre du parti, qu’elle résiderait de façon permanente à
Vienne.
— Quel dommage ! lui dit-il. Pourquoi
quittez-vous l’Allemagne ?
— Mon oncle me brutalise, lui
avoua-t-elle franchement, mais elle ne prit aucun plaisir à voir sa surprise.
Elle sortit aussitôt.
Sans se presser, elle descendit Briennerstraße
jusqu’à la Maison brune, et en entrant fit un signe de la main au SS qui l’avait
suivie. Elle trouva Hitler dans l’élégant décor chêne et or du restaurant, assis
juste au-dessous d’un immense portrait de Dietrich Eckart, en train de pérorer
devant Otto Wagener, le conseiller économique du parti, sans doute afin de l’impressionner
par sa mémoire phénoménale des chiffres concernant l’agriculture, la finance et
l’industrie. Sans accorder un regard à sa nièce, Hitler tapota d’un geste
condescendant une place à côté de lui sur la banquette en forme de fer à cheval
recouverte de tapisserie. Elle s’assit et se glissa vers lui.
Fumeur invétéré, Otto Wagener était un gros
bonhomme sympathique, dont le visage aurait été à peu près identique si on l’avait
placé à l’envers sur sa tête. Changeant de sujet de peur d’ennuyer la
demoiselle, Wagener lui demanda si elle était étudiante.
— Je l’étais, répondit-elle avec un
enthousiasme feint. Mais oncle Alf sait toujours quelle est la meilleure chose
à faire, alors il a décidé que je serais chanteuse.
— Chanteuse ! s’exclama Wagener. Vraiment,
Herr Hitler, ce n’est pas juste. Votre famille a reçu des talents en abondance,
et il ne reste rien pour les autres.
Du fond de sa vanité vorace et jamais assouvie,
Hitler trouva un moment pour sourire.
— Nous sommes d’une bonne lignée, dit-il.
C’est vrai.
— Et oncle Alf est si généreux, poursuivit
Geli, qu’il
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