La nièce de Hitler
l’écoutant les décrire à sa
nièce et à son neveu de treize ans plein d’admiration : croix de fer de
première classe, croix de fer de seconde classe, croix militaire de troisième
classe avec épées, le diplôme du régiment pour bravoure exceptionnelle, la
médaille des Blessés et la médaille du Service de troisième classe, puis il fit
tâter à Léo à travers son pantalon de lainage gris la cavité qu’un obus avait
creusée dans sa cuisse gauche. Au bout de quatre ans de guerre, Hitler n’avait
pas obtenu un grade plus élevé que celui de Gefreiter, ou caporal, à
cause de son origine autrichienne, expliqua-t-il à Léo, et du fait que la
fonction d’estafette, qu’il préférait entre toutes malgré le danger, ne pouvait
être exercée par quelqu’un d’un grade supérieur.
Paula, qui avait à présent vingt-trois ans, apporta
avec des gestes mal assurés leur plus beau service à thé en porcelaine, puis
lui fit la révérence en minaudant avant de retourner dans la cuisine où Angela
s’affairait à préparer un dessert autrichien appelé Kaiserschmarren. Et
on envoya Léo à la boulangerie, car le seul pain qu’ils avaient à la maison
était une infâme mixture d’épluchures de pommes de terre et de sciure de bois.
La chorégraphie familiale fit donc que la
nièce d’Hitler resta seule avec lui dans le salon, à le regarder dans un
silence fasciné, tandis que, assis au bord du vieux fauteuil de son beau-frère,
une tasse et une soucoupe de porcelaine de Dresde tenues de façon plutôt
maniérée, laissant son thé tiédir puis refroidir, il se lançait dans une
diatribe interminable sur la guerre d’usure que l’Allemagne aurait fini par
gagner sans les pacifistes, les tire-au-flanc et les traîtres qui avaient signé
l’armistice.
Elle se dit que ça devait être ça, avoir un
père ou un mari. Avant tout, être affectueuse, le complimenter sur son allure
superbe, lui offrir du pain d’épice ou du strudel, se prélasser dans un salon
bien chauffé, entendre sa voix, et être l’eau tranquille sur laquelle il fait
ricocher ses opinions. Elle essaya de paraître à l’aise. Elle prit la liberté d’ajuster
ses chaussettes et sa jupe, mais il ne le remarqua pas. À part cela, elle garda
les chevilles croisées, les mains jointes, la tête penchée en signe de
fascination. Lorsqu’elle perdait le fil de ce qu’il disait, elle souriait avec
douceur, et oncle Adolf se sentait encouragé à continuer son monologue.
Souvent, en Belgique, lui raconta-t-il, ils
furent forcés de s’abriter de tirs d’artillerie nourris pendant des jours et
des jours. Dans des tranchées glacées et dégoulinantes de boue. De l’eau jusqu’aux
genoux. Et c’était un soulagement de charger, en entendant le premier shrapnel
siffler au-dessus de leurs têtes. En le voyant exploser à la lisière de la
forêt, fracassant les arbres comme de vulgaires fétus de paille.
— Nous observons tout cela avec curiosité,
racontait-il. Nous n’avons aucune notion du danger. Nous avançons en rampant, et
au-dessus de nos têtes on n’entend que des hurlements et des sifflements. Des
débris d’arbres nous entourent. Les obus explosent et font voler des nuages de
pierre, de terre et de sable. Même les arbres les plus solides sont déracinés. Nous
nous dirigeons vers un ruisseau, et bien qu’il nous offre une certaine
protection, nous ne trouvons qu’une eau verdâtre, fétide et empoisonnée. Nous
ne pouvons pas nous éterniser là, et s’il nous faut tomber au combat, nous décidons
de tomber en héros. Nous attaquons et nous battons en retraite quatre fois. Et
sais-tu, Geli, que de toute ma compagnie, il n’est resté qu’un seul autre
soldat, et qu’il a fini par tomber, lui aussi ? Et donc je reste tout seul.
Une balle emporte la manche droite de ma capote, mais je suis toujours indemne.
Je me trouve une cachette en vitesse. À deux heures de l’après-midi d’autres
soldats me rejoignent, nous avançons pour la cinquième fois, et nous occupons
enfin la forêt et les fermes. Nous abattons tous les animaux, jusqu’à ce que
les champs soient rouges de leur sang. Quelques jours plus tard, nous partons.
Apparemment épuisé, Hitler s’affala dans le
fond du fauteuil de son beau-frère, et sirota son thé très sucré, attendant une
réaction de sa nièce, qui ne savait pas quoi répondre. Elle pensa qu’elle n’avait
pas su le comprendre, car son histoire semblait pleine de choses
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