La nièce de Hitler
Geli.
— Quelque chose d’important, répondit-il
en se retournant vers elle. Mais j’imagine que je ne peux pas t’abandonner ici.
Elle ne lui dit pas qu’elle avait onze ans, et
l’habitude de se trouver seule dans l’appartement. Au contraire, elle s’arrangea
pour rester en sa compagnie.
— Vous pourriez m’emmener ?
Ce qu’il fit. Hitler ne lui révéla pas où ils
allaient, mais se contenta de remonter Rotenturmstraße vers Sankt Stephansplatz
d’un pas lent et gracieux, Geli à sa suite, acceptant d’un air austère l’hommage
des Autrichiens qui soulevaient leur chapeau en l’honneur de sa croix de fer. Geli
portait une de ses tenues préférées, une robe bleu foncé à col marin ainsi qu’un
nœud bleu et un ruban de gros-grain dans ses cheveux châtain clair qui
bougeaient au rythme de ses pas. Elle se trouvait jolie, mais le regard
lointain d’Hitler ne s’attardait pas sur elle. Elle essaya de lui prendre la
main, mais il la retira. De temps en temps, elle devait sautiller pour le
rattraper.
— On va visiter la Hofburg ? demanda-t-elle
lorsqu’il tourna dans Spiegelgasse.
— Pas entièrement, bien sûr. Seulement le
Schatzkammer. Tu y es déjà allée ?
Elle secoua la tête.
— Incroyable ! s’exclama-t-il.
Puis il lui confia qu’il s’était fait un bon
ami à la société secrète Thulé, un groupe occulte de penseurs de Munich. Le nom
Thulé venait d’une très ancienne île de l’Atlantique Nord, entre la Scandinavie
et le Groenland, qui avait été à l’origine de la civilisation nordique et d’une
race supérieure de végétariens blonds aux yeux bleus. Cet ami lui avait dit qu’il
devait absolument visiter le Schatzkammer.
Elle pensa que, décidément, les hommes s’intéressaient
à des choses bizarres.
— Il s’appelle comment ? demanda-t-elle.
Il lui dit que son ami s’appelait Dietrich
Eckart, qu’il était poète, auteur dramatique, et rédacteur en chef de l’hebdomadaire
antisémite, antirépublicain et antibolchevique Auf gut Deutsch (En bon
allemand).
— Nous cherchons ensemble un messie
national.
Ils arrivèrent à la Hofburg, le palais
impérial des Habsbourg et de l’ancien empire austro-hongrois, qui tombait en
ruine. Le Weltliche Schatzkammer, le trésor impérial, se trouvait à l’intérieur
du palais, et comprenait d’innombrables couronnes, sceptres, ornements et
bijoux, d’imposantes robes d’apparat, ainsi que tous les autres attributs de la
majesté. Toutefois, en déambulant dans le musée avec son oncle, Geli eut l’impression
qu’Hitler était écœuré soit par la magnificence excessive des fastes royaux, soit
par la présence des centaines de Tchèques, de Hongrois, de Croates et de Juifs
qui se pressaient autour des vitrines, car il ne faisait que froncer les
sourcils ou feindre de s’éventer pour faire disparaître des odeurs imaginaires,
jusqu’à ce qu’ils arrivent devant la couronne impériale des Habsbourg. Il
souleva Geli afin qu’elle puisse voir les rubis et les saphirs qui l’ornaient.
— Tout ce qui ne va pas en Autriche
commence ici. Qui pourrait demeurer fidèle aux Habsbourg alors qu’ils ont
choisi comme insigne dynastique la couronne de Bohême au lieu de la somptueuse
couronne des empereurs germaniques ?
— Mon oncle, je ne comprends pas pourquoi
vous avez voulu venir ici, dit-elle.
— Tu vas comprendre, répondit-il en la
posant.
Et il se remit à avancer, jouant furieusement
des coudes à travers un groupe d’officiels étrangers, passant devant quelques
autres objets sans les regarder, avant de s’arrêter devant la vitrine de la « Sainte
Lance », comme l’indiquait un écriteau. Un étui de cuir contenant un fer
de lance martelé et noirci par le temps, avec un clou fixé à l’aide de fils d’or,
d’argent et de cuivre, reposait sur du velours rouge.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Geli.
Hitler ne daigna pas répondre. Il croisa les
bras et fixa la vitrine d’un regard lugubre, comme si, à cet instant, il ne
pouvait tolérer que ses propres pensées.
Geli trouva un panneau écrit à la main, qui
expliquait que de nombreuses personnes croyaient que cette Sainte Lance était
celle que le centurion romain Longinus avait enfoncée dans le flanc de Jésus
lors de la crucifixion. Un clou censé provenir de la Croix y avait été adjoint
au XIII e siècle. Otton le Grand l’avait possédée, mais ce n’était que l’un des
quarante-cinq
Weitere Kostenlose Bücher