La nièce de Hitler
empereurs qui s’en était emparé entre le couronnement de
Charlemagne à Rome et la chute du Saint Empire romain germanique mille ans plus
tard. Tous avaient cru à la légende selon laquelle quiconque possédait la lance
tenait la destinée du monde entre ses mains.
— Vous vous intéressez à l’histoire ?
demanda Geli.
— Au pouvoir, répondit-il.
Puis il resta planté là, en silence et tout
tremblant, et demeura ainsi, sans s’occuper de sa nièce, jusqu’à la fermeture
du Trésor une heure plus tard.
IV
Le putsch de la brasserie, 1923
Les mois passèrent, puis un jour les Raubal
reçurent une lettre du caporal Hitler leur disant qu’il faisait partie du « Bureau
de la presse et de l’information » de la 7 e division, sous les
ordres d’un certain capitaine Ernst Röhm. Et ils s’étaient liés d’amitié au
point de se tutoyer, ce qui avait permis à Adolf d’acquérir un prestige bien
utile au sein du corps des officiers.
Un soir, au café Brennessel, Röhm et Dietrich
Eckart, célèbre traducteur de Peer Gynt et « camarade de combat
contre Jérusalem », l’avaient invité à rejoindre les quarante membres du
parti ouvrier allemand, arguant qu’ils avaient besoin d’un bon orateur comme
lui qui soit célibataire – « de façon à avoir les femmes de notre côté »
–, rusé en politique et ferme dans ses convictions, qui ne soit ni officier, ni
intellectuel, ni issu des classes dirigeantes, et dont on savait qu’il ne
craignait pas les balles, car les communistes essaieraient de l’éliminer.
Au début, Hitler n’avait guère été
impressionné par ce parti déclinant – qu’il décrivit dans ses mémoires comme « un
cercle oratoire de lycée » et « une cuisine de club de la pire sorte »
– mais le Haut Commandement le considérait comme une bonne défense contre les
sentiments antimilitaristes et antinationalistes de la classe ouvrière, et lui
avait promis tout le soutien financier nécessaire. Il avait donc fini par
adhérer et en était à présent le chef de la propagande, disposant de sa machine
à écrire Adler personnelle, et travaillant avec l’ex-sergent Max Amann, lequel
occupait les fonctions de directeur commercial, dans une salle de la brasserie
Sterneckerbräu, dans Herrenstraße, qui ressemblait plus « à un tombeau qu’à
un bureau ». Grâce à Röhm, leur parti était désormais un parti de soldats,
poursuivait-il dans sa lettre à Angela, et l’on pouvait fréquemment voir des
compagnies entières de la Reichswehr débouler dans les rues en civil, pourchassant
et lynchant ceux qu’il appelait « les ennemis de l’Allemagne », c’est-à-dire
les bolcheviques, les partisans de la république de Weimar et les Juifs.
Quelques semaines auparavant, racontait-il, dans
la grande salle de la Hofbräuhaus, il avait parlé avec fougue pendant deux
heures et demie devant un public hostile d’environ deux mille communistes et
socialistes. Toutefois, ils détestaient l’inefficace république de Weimar
autant que lui, quoique pour des raisons différentes, et à la fin de son
discours un concert d’applaudissements ponctuait chacune de ses phrases.
« En quittant ce meeting, écrivait-il, mon cœur éclatait de joie, car je
savais qu’un grand loup terrible était né, destiné à combattre ce troupeau, vil
séducteur du peuple. »
Les Raubal reçurent une autre lettre en
juillet 1921, les informant qu’il était revenu à la vie civile, et qu’il louait
un appartement au-dessus d’une droguerie au 41, Thierschstraße, non loin de l’Isar.
Sur son insistance, son organisation s’appelait désormais le
Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei (NSDAP), le parti
national-socialiste des ouvriers allemands, connu surtout par l’acronyme formé
par la première et la cinquième syllabes, nazi, qui, expliquait-il aux Raubal, signifiait
« copain » en argot bavarois, car « nous sommes les amis de l’homme
du peuple ». C’est lui qui avait dessiné leur étendard rouge sang, avec le
symbole de paix du vieux monde, le svastika, une croix noire aux
branches coudées, mais dans le sens inverse, inscrite dans un cercle blanc, afin
de représenter le chaos et le conflit, « car nous sommes en guerre ».
Au cours de l’année passée, écrivait-il, il
avait été l’orateur attitré de quatre-vingts meetings de masse, ne cessant de
vilipender l’effondrement financier du gouvernement judéo-marxiste de Berlin,
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