La nièce de Hitler
il
prononça, d’une voix de basse gutturale et à peine intelligible, quelques
phrases sur la crise qu’ils traversaient en ce XX e siècle. Elle vit que d’autres se penchaient en avant comme elle en
fronçant les sourcils pour mieux entendre.
Puis le timbre et le volume de sa voix s’élevèrent,
et dans un bon haut allemand souvent teinté d’intonations et d’argot
autrichiens, il donna son interprétation personnelle des souffrances endurées
par leur mère patrie depuis le 11 novembre 1918. « Lorsque nous nous
demandons aujourd’hui ce qu’il se passe dans le monde, disait-il, nous sommes
obligés de revenir sur l’abdication du Kaiser et sa fuite en Hollande. »
Il leur rappela ensuite comment l’armistice avait été signé par des lâches et
des criminels à Berlin, plantant un poignard dans le dos de l’armée allemande
alors qu’elle était sur le point de vaincre. Les spartakistes communistes qui
avaient fomenté une révolution contre la république de Weimar avaient été
écrasés dans des centaines de batailles de rue par les membres de la brigade
Ehrhardt et d’autres soldats d’armées privées, dont beaucoup faisaient
maintenant partie de ses loyaux et indispensables SA. Mais alors qu’ils
versaient leur sang pour leurs amis et leurs familles, les ennemis européens et
américains humiliaient, plus même, cherchaient à anéantir leur précieuse mère
patrie avec le traité de Versailles, « le traité de la honte » selon
ses propres termes, obligeant l’Allemagne à endosser seule la responsabilité de
la guerre, et exigeant des réparations exorbitantes, l’appropriation de treize
pour cent de son territoire, et l’occupation de la Rhénanie et de la Sarre par
les forces alliées. « Les mains qui ont signé ce traité vont se putréfier ! »
hurla Hitler sous les applaudissements déchaînés du public debout.
Rétablissant le silence d’un signe, il leur
rappela que le gouvernement de Weimar avait stupidement essayé de s’acquitter
de ces dettes de guerre impossibles à rembourser en imprimant tout bonnement
plus d’argent, ce qui avait rapidement enlevé toute valeur à la monnaie. Un
dollar américain valait un peu plus de quatre marks allemands en 1914, environ
huit et demi en 1918, et bien plus de deux cents milliards cinq ans plus tard !
Les économies de toute une vie étaient perdues, les usines fermaient, les
maisons étaient vendues à des investisseurs étrangers pour le prix, à leurs
yeux, d’une bouchée de pain.
Nous sommes de nouveau sur la bonne voie, assura
Hitler. Les erreurs de politique ont été corrigées. Mais nous subissons encore
les attaques des quatre cavaliers qui sont la faim, la maladie, le chômage et
la perte de la fierté nationale. À Versailles, certains Européens réclamaient
la « pastoralisation » de l’Allemagne. Les laisserons-nous faire ?
Sommes-nous donc devenus des moutons ? Et quand il les eut fait hurler que
non, son visage devint cruel en proférant ces menaces : « Je
chasserai de la scène politique ces mauviettes qui signent des traités en
cherchant la bonne affaire ! » Un tonnerre d’applaudissements s’ensuivit.
Et ainsi de suite. Le contexte historique
était familier à Geli et à toute l’assistance de la Hofbräuhaus, mais la
récitation que son oncle en faisait était saisissante de conviction, d’esprit
venimeux, de passion. Sans se soucier de rationalité, il briguait la confiance
des gens avec sa propre certitude. Aux questions ardues il donnait des réponses
faciles. Les objections étaient vaincues par l’insistance. Les opinions
difficiles à accepter étaient répétées sans cesse. Tous les problèmes complexes
étaient simplifiés. Le moindre soupçon de paranoïa recevait la considération et
le respect nécessaires. Les spectateurs les moins éduqués avaient l’impression
de comprendre enfin la politique.
Geli regarda sa montre et se rendit compte qu’une
heure s’était écoulée depuis que son oncle avait pris la parole, et il avait
beau ne pas donner l’impression de vouloir s’arrêter de sitôt, ses auditeurs
semblaient cloués à leur siège, complètement absorbés par ses paroles. Elle
avait l’impression que ces gens s’en prendraient furieusement à elle si elle
bougeait, car il les apaisait à sa façon, les absolvant des violences de la
guerre, justifiant leur fureur et leur rancune, tenant pour louables leurs
émotions les plus mesquines et les plus
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