La nièce de Hitler
empressés se précipitaient vers la célèbre automobile dès qu’ils l’aperçurent.
Ils portaient tous des bottes montantes, des culottes de cheval et des chemises
brunes, et arboraient un brassard rouge frappé de la Hakenkreuz, la
croix gammée. Hitler leur adressa un sourire affectueux tout paternel, et
attendit qu’ils aient repoussé le flot des sympathisants avant de descendre de
voiture et de s’avancer à grandes enjambées élégantes vers l’entrée de la Hofbräuhaus
sous le salut nazi, sa cravache dans la main gauche. Rosenberg venait ensuite, suivi
de Geli et Emil, une main légèrement posée sur la taille de la jeune fille pour
la guider.
Elle entendit la foule se demander tout fort
qui elle était. Toujours guindé et sérieux, Rudolf Hess s’inclina pompeusement
devant Geli tout en conférant avec Max Amann auprès d’une table pliante où s’empilaient
des exemplaires du premier volume des mémoires d’Hitler, Mein Kampf. Il
venait d’être publié par les éditions Eher, qui appartenaient au parti. Chaque
exemplaire valait douze Reichsmarks, alors que le vieux numéro du
quotidien Völkischer Beobachter qu’on lui avait montré coûtait huit milliards
de Rentenmarks. Bien des choses avaient changé.
Elle vit un homme inconscient être traîné par
les chevilles hors de la Hofbräuhaus, le visage en sang. Elle entendit un
remue-ménage à sa droite, ainsi que les cris de « Fumier de rouge ! »
tandis que trois SA poursuivaient vers le tramway un homme frêle d’une
soixantaine d’années, qui avait le malheur de ressembler à Lénine. Horrifiée, elle
détourna la tête quand ils se mirent à le frapper à tour de rôle, et lorsqu’elle
regarda à nouveau, l’homme n’était plus qu’une masse ensanglantée sur les rails,
à la recherche d’une dent.
Mais l’atmosphère festive lui fit oublier
cette violence. Des jeunes filles distribuaient des bretzels et des hommes
chantaient en partageant un pichet de bière. Partout, des étendards rouge et
noir et des affiches politiques : des mains nazies tendaient des outils à
des chômeurs, sous les mots « Du travail et du pain » ; un poing
nazi étranglant un effrayant python noir illustrait le slogan « Mort aux
mensonges » ; un aigle féroce se tenait à califourchon sur une croix
gammée tenue par les masses, avec les mots « Allemagne, réveille-toi ! »
et trois soldats au regard sombre, auréolés d’une croix gammée, accompagnaient
la phrase « National-socialisme – la volonté organisée de la nation ».
Au-dessus des portes de la Hofbräuhaus un écriteau fraîchement peint annonçait : « ENTRÉE
INTERDITE AUX JUIFS ».
À peu près quatre mille personnes étaient
entassées dans la salle et le jardin intérieur, la plupart des hommes d’âge mûr
à l’air accablé, anciens officiers, fonctionnaires arborant des cicatrices de
duel, maîtres d’école, serveurs, employés et commerçants, ouvriers et paysans, dont
certains étaient vêtus du costume national bavarois, culotte de peau, veste et
chapeau à plume ; les premiers rangs étaient occupés par des vieilles
dames chapeautées et bien habillées, qui parfois tricotaient en attendant le
début des discours. Emil les appelait « les incorruptibles ». Toutefois,
une grande partie de l’assistance était composée de lycéens, d’étudiants
membres de fraternités universitaires, et même d’enfants – la majorité de ceux
qui portaient des insignes nazis avaient moins de vingt-cinq ans. Des
corbeilles passaient dans les rangs du public pour recueillir de l’argent, comme
dans une église. Apparemment, tout le monde avait une chope de bière à la main
et une cigarette ou une pipe, et certains étaient penchés sur des assiettes de
saucisses ou de choucroute. La fumée planait dans la salle en fins rideaux gris
ou bleus.
Emil lui dit qu’elle irait s’asseoir loin de
la tribune principale car il y avait souvent des bagarres à ces meetings, des
altercations brutales à propos de rien. Elle fut donc installée dans une
galerie supérieure. Avec elle, il y avait des journalistes vautrés sur leur
chaise, quelques épouses ou maîtresses de membres du parti, une serveuse
harassée aux seins gigantesques qui prenait les commandes, et dans le coin le
plus éloigné, un prêtre austère vêtu d’un costume noir et d’un col
ecclésiastique, qui regarda Emil s’éloigner.
Elle se pencha sur la balustrade pour observer
Emil se
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