La nièce de Hitler
« J’extirperai
le mal de la juiverie par ses racines et je l’exterminerai ! »
Était-ce pour cela qu’il l’avait invitée à ce
meeting ? Savait-il que Geli avait des amies juives, qu’Angela travaillait
dans un foyer juif et Paula dans une entreprise juive ? Essayait-il de
changer cela, de le leur faire regretter ? Elle eut l’impression que c’était
à elle qu’il s’adressait, tel un père déversant sa folie accusatrice devant
quatre mille témoins. Elle en fut chagrinée. Et elle fut choquée, également, par
d’autres sentiments, car son discours avait beau être haineux et terrifiant, il
était également électrisant. Chaque phrase était acclamée maintenant. La moitié
de l’assistance était debout. Des hommes adultes imitaient les lycéens en
montant sur les tables pour lever leurs chopes de bière et hurler leur
enthousiasme. Geli vit une jeune fille s’évanouir d’extase. Des dames d’âge mûr
pleuraient d’amour pour lui. Le froid n’était pas aussi réel que l’excitation
qu’elle sentait autour d’elle.
Accélérant son tempo, Hitler assena avec
passion les derniers paragraphes de son discours dans une rhapsodie de mots, et
promit la nourriture, l’ordre, le plein emploi, la suprématie européenne et la
fin absolue des désordres et des convulsions de la démocratie. (« Je sens
la chaleur de l’auditoire, confia-t-il à Geli par la suite, et quand le moment
est venu, je lance un javelot enflammé qui embrase la foule. ») Il
amplifia son indignation, progressant à coup de phrases martelées et bien rythmées,
le visage cramoisi, les poings serrés, le cou crispé, et, dans un orgasme final
de mots, il leur offrit superbement sa personne comme le messie du peuple
allemand. « Je serai votre Führer, et nous posséderons le royaume, la
puissance et la gloire ! Amen ! »
À ces mots, les quatre mille auditeurs lui
firent une telle ovation que les murs de la salle en tremblèrent. Hitler salua
alors ses SA, donnant le signal à ses Chemises brunes de se tenir par le bras
et d’entonner l’hymne national, Deutschland über Alles. L’exaltation
encore à son comble, Hitler s’esquiva de la tribune d’un pas affaibli, sous les
hourras, les chants et les tintements de chopes de bière. Et bien que Geli eût
l’impression que, de son coin reculé, le prêtre la regardait d’un air déçu et
méprisant, elle imita les autres en applaudissant frénétiquement son oncle. C’était
plus fort qu’elle. Elle était envoûtée.
Emil Maurice prit la
main de Geli et lui fit descendre en hâte un escalier caché pour l’amener dans
la rue, où la Mercedes ronronnait, tous feux éteints, Julius Schaub au volant. Devant
la voiture un taxi attendait. Pendant qu’Emil donnait des instructions à Schaub,
Geli ouvrit la porte côté passager pour féliciter Hitler, mais à son grand
étonnement il s’était endormi, la bouche grande ouverte comme si on l’avait
assassiné. Il avait enlevé son veston gris, et sa chemise blanche était si
trempée de sueur qu’elle en était devenue transparente. Et l’odeur était
infecte, un relent pestilentiel de putois et de détritus. Geli se mit la main
sur le nez et la bouche et ferma la portière.
— Nous prendrons le taxi, dit Emil avec
un sourire.
Les milliers de partisans chantaient encore
quand Geli s’installa à l’arrière du taxi avec Emil, et celui-ci se pencha en
avant pour donner au chauffeur une adresse dans le quartier chic de Bogenhausen.
Lorsqu’il s’appuya au dossier, son genou droit se cala contre celui de Geli et
ne se retira pas.
— Alors, vous avez été estomaquée ?
Et comment.
— Fascinée.
— C’est exactement ça. Max Amann a été
son premier sergent, et il dit qu’Hitler était vraiment un cas à part dans les
tranchées. On l’appelait « le corbeau blanc ». Toujours sérieux. Pas
d’alcool. Pas de tabac. Pas de femmes. Il prenait des gardes à Noël pour ne pas
avoir à participer aux festivités. Et même alors, il pouvait parler politique
pendant des heures. « Étourdissant », disait Amann. Pourtant, ce qu’il
écrit n’est pas très bon. Terne, et dur à lire. Des fautes de grammaire et d’orthographe…
La foule qui sortait de la Hofbräuhaus
bloquait la rue. Emil se pencha en avant pour donner des instructions au
chauffeur avant de s’appuyer familièrement contre la cuisse de Geli, et de
reprendre le cours de ses pensées.
— Mais quand il parle, on
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