La nièce de Hitler
est hypnotisé. On
n’a plus de volonté propre. Seulement la sienne. On oublie de penser. On
abandonne sa liberté. On se soumet. Et on retrouve la foi qu’on avait perdue. On
l’entend une fois et on devient sympathisant du parti. On l’entend deux fois et
on devient fanatique. L’Allemagne sera vraiment formidable quand Hitler sera au
pouvoir ! conclut-il en souriant comme un petit garçon.
Elle ne sentait que sa cuisse appuyée
fermement contre la sienne. Elle acquiesça en hochant la tête. Emil regarda le
taxi s’engager dans Maximilianstraße pour continuer vers l’est en direction de
l’Isar.
— Nous allons chez Herr Heinrich Hoffmann,
annonça Emil. Nous fêtons l’anniversaire d’Hitler maintenant parce qu’il sera à
Hambourg le 20 avril.
— Je devrais le savoir, mais quel âge
aura-t-il ?
— Trente-six ans. Et vous ?
Geli faillit répondre vingt ans, mais se
résolut à dire la vérité.
— J’aurai dix-sept ans en juin.
Emil enregistra cette information comme un
facteur qu’il n’avait pas pris en compte, puis la fixa d’un regard si intense
qu’elle perdit le rythme de sa respiration.
— Je sors souvent avec des filles de cet
âge, dit-il avant de se retourner pour poursuivre. Votre oncle également. Des
femmes âgées, et des jeunes filles.
Elle mourait d’envie de lui poser des
questions sur ses petites amies et sur celles d’Hitler, mais craignit d’être
trop indiscrète, car elle savait que les hommes étaient souvent avares de leurs
pensées. Elle regarda les rues en silence, jusqu’à ce que le taxi tourne dans
Ismaningerstraße.
— Nous allons chez qui, déjà ? demanda-t-elle.
— Heinrich Hoffmann. Le photographe
officiel d’Hitler. Et sa femme, bien sûr. Ils ont un petit garçon qui s’appelle
Heinrich, et une gamine délurée, Henrietta. Elle a treize ans.
— Et vous sortez souvent avec des filles
de cet âge ? demanda-t-elle ironiquement.
— Même moi, j’ai des limites.
— Eh bien, c’est un début, sourit-elle.
Ils arrivèrent quelques minutes plus tard dans
une rue bordée d’arbres où de nombreuses voitures étaient garées, et s’arrêtèrent
devant une superbe demeure dotée d’au moins quarante fenêtres, toutes éclairées.
Dans le grand hall d’entrée, une table
délicatement ouvragée croulait sous les gâteaux, les sucreries et les cadeaux. Dans
les salons, nombreux étaient les invités qui arboraient des smokings ou des
toilettes et des bijoux superbes. Il n’y avait pas une seule Chemise brune en
vue. Des serveurs en livrée bavaroise traditionnelle présentaient des plateaux
de canapés et de coupes de Champagne. Emil ne se sentait pas dans son élément, aussi
confia-t-il Geli à Herr Hanfstaengl, qui lui était enfin dans le sien. Putzi
offrit une flûte de Champagne à la jeune fille, et elle fut prise dans un
tourbillon de noms et de titres lorsqu’il la présenta gaiement comme « la
nièce d’Hitler », d’abord à sa blonde et ravissante épouse, Helena, puis à
une femme du monde appelée Gertrud von Seydlitz, à l’ex-femme d’Olaf
Gulbransson, le caricaturiste, à Frau Hoffmann, leur hôtesse débordée et parée
de tous ses bijoux, un petit garçon sur la hanche, et au ministre de la Justice,
Franz Gürtner, un homme austère avec une moustache grise et un pince-nez. Elle
fit également la connaissance de la veuve d’un industriel, Frau
Wachenfeld-Winter, qui allait louer à son oncle un chalet près de Berchtesgaden,
et de ses riches voisins là-bas, Edwin Bechstein, le fabricant de pianos
berlinois, et sa femme Helene, qui, bien qu’elle n’eût guère qu’une dizaine d’années
de plus que lui, se surnommait volontiers elle-même « la maman d’Hitler ».
Puis Putzi emmena Geli dans un salon rouge où
elle rencontra Paul Nikolaus Cossmann, le rédacteur en chef des Münchener
Neueste Nachrichten, en grande conversation avec William Bayard Hale, un
Américain qui avait été le condisciple de Woodrow Wilson à Princeton et le
correspondant en Europe des journaux de Hearst. Emil Gansser, de la compagnie
Siemens et Halske de Berlin, donna sa carte à Geli, Joseph Fuess et sa femme l’invitèrent
à leur rendre visite dans leur bijouterie de Corneliusstraße, et Jakob Werlin, le
représentant à Munich des usines Daimler de Stuttgart-Untertürckheim, lui
révéla que la Mercedes personnalisée de son oncle avait dû coûter vingt mille
marks. Puis ce fut le tour de Frau von
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