La nièce de Hitler
Kaulbach, la robuste veuve du fameux
peintre bavarois, du prince Henckel-Donnersmarck, qui, tranquillement ivre, resta
assis, d’un responsable des chemins de fer de la gare de l’Est quelque peu entreprenant,
de Quirin Diestl et de sa femme, propriétaires d’une papeterie près de l’hôtel
Regina, de Frau Eisa Bruckmann, autrefois princesse Cantacuzène de Roumanie, épouse
du plus important éditeur de Munich, et enfin de la seconde et très jeune femme
d’Erich Ludendorff, Frau Doktor Mathilde Spiess Ludendorff, qui proclamait haut
et fort sa haine de la juiverie et du christianisme, et ne cessait de parler d’une
nouvelle religion allemande qu’elle et son mari étaient en train de fonder, et
qui prenait sa source dans les anciens dieux païens nordiques.
— Frau Doktor est spécialiste des
maladies mentales, murmura Putzi dans l’oreille de Geli quand ils quittèrent la
pièce.
— Les siennes ont dû lui être bien utiles !
— Ah ! Exactement ce que je pensais !
— Et maintenant, interrogation sur tous
les noms ! fit une autre voix.
Elle se retourna et vit un homme blond en
smoking, la quarantaine, jovial, un peu plus petit qu’elle, le visage empourpré
par l’alcool, ses larges épaules partant en biais de part et d’autre d’une
colonne vertébrale tordue.
— Vous êtes Herr Hoffmann ! s’exclama-t-elle.
— Comment le savez-vous ?
— Le maître de maison se repère toujours
de loin.
— Mille pardons ! Je vais
immédiatement faire ouvrir toutes les fenêtres ! répondit-il, plein d’exubérance.
Hanfstaengl s’excusa auprès de Geli, lui baisa
la main droite, et disparut.
— Je vous ai vu hier avec mon amie, dans
votre magasin de Schellingstraße, dit-elle à Hoffmann.
— Ah, c’était donc vous avec Hitler !
Une jolie fillette de treize ans, un brin
pompette, vêtue d’une robe du soir ajustée très femme, entra en se dandinant et
prit le bras de son père avant de l’embrasser sur la joue. Ses lèvres boudeuses
étaient maquillées de rose, et ses cheveux châtains relevés en chignon. Elle
ressemblait à une collégienne parisienne, à la poitrine plate mais au corps
soigné et athlétique, consciente de sa séduction, avec l’air grognon de ceux
qui sont souvent déçus.
— Ma fille, Henrietta.
— Henny, rectifia celle-ci en tendant la
main.
— Geli Raubal.
Elle prit la main tendue, puis, devant l’étonnement
de la fillette, ajouta :
— La nièce d’Hitler.
— Intéressant, fit Henny, comme si c’était
vraiment le cas.
Henny examina Geli des chaussures à la
coiffure, et se blottit contre son père pour déclarer :
— Vous avez des seins superbes.
Geli ne put que rougir et répondre un simple « merci ».
— La chère petite est trop franche, elle
ne voulait pas vous embarrasser, Fräulein Raubal, s’empressa de dire Hoffmann. Elle
a été élevée parmi les mannequins et les actrices.
— Tu ne trouves pas ? insista Henny.
— Si, bien sûr, répondit Hoffmann.
Puis il lança la conversation sur ce que Geli
pensait de Munich.
— Je n’ai pas vu grand-chose, juste un
bref aperçu ce matin.
— Qui vous a emmenée ? demanda Hoffmann.
— Herr Julius Schaub.
— Il n’est pas très bavard, celui-là !
dit Henny.
— Pour Herr Schaub, bien communiquer
consiste à regarder d’autres pieds que les siens.
Henny et son père rirent de si bon cœur que
des invités les regardèrent d’un air interrogatif.
— Vous êtes délicieuse, dit Hoffmann. Il
faut que nous fassions plus ample connaissance.
Sur ce, il se prit une autre coupe de
Champagne et conduisit Geli dans sa bibliothèque, suivi de près par Henny. Là, il
fit seul la conversation, montrant d’abord à Geli son livre de photos, Une
année de révolution en Bavière, puis la médaille d’or du roi Gustave de
Suède qu’il avait gagnée à l’exposition de Malmö, la grande médaille d’argent
de Bulgarie, et d’autres prix récompensant des avancées dans l’art de la photographie.
En même temps, il lui racontait que son père avait été photographe à la cour du
roi Louis III, que c’était ainsi qu’il avait naturellement choisi ce
métier, et qu’il était devenu photographe de guerre sur le front ouest. Ensuite,
avec tous les problèmes de la république de Weimar, il avait vendu son studio
pour ce qu’il avait pensé être un prix fantastique, « mais le pouvoir d’achat
de la nation baissait tellement que
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