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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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des musiciens de Paris. Il y avait aussi Talleyrand retour d’Amérique et La Fayette que tu avais fait sortir de prison. Et après dîner tu les as emmenés dans le parc.
    —  Oui, et c’est entre les rocailles et les saules que nous nous sommes juré de ranimer le traité d’Alliance éternelle. Et depuis, deux de ces hommes sont devenus les maîtres de l’Amérique. C’est ce déjeuner de Mortefontaine que je leur rappellerai en arrivant à New York. Mais il faudrait partir dès demain...
    Ils arrivaient à l’angle de la galerie qui donne sur le jardin. La foule s’était encore épaissie entre les bancs et les arbres. Et comme s’ils avaient entendu la dernière phrase, des groupes d’ouvriers juchés sur les pins parasols criaient   : « Sire, ne partez pas, restez avec nous. On se battra pour vous... »
    Le lieutenant de vaisseau Jean Victor Besson, de l’état-major de la Marine à Rochefort a regagné son domicile. Il prend dans ses bras sa femme Dorothée   ; une longue Danoise, aux cheveux de méteil, aux annelures tressées, aux yeux couleur de pluie sur la mer. Cette Ophélie de Kiel, fille d’armateur, parle un français d’Elseneur, un sabir chantant mélangé d’anglais, d’allemand et de jargon marin.
    —  Qu’as-tu   ?
    —  Ce que j’ai, Dorothée ? Une grande nouvelle à t’apprendre et une terrible responsabilité à assumer. M. Pelletreau m’a demandé d’aménager des cuves du Magdalena pour cacher l’Empereur et sa suite pendant la traversée.
    Elle restait pétrifiée   :
    —  L’Empereur dans les cuves du Magdalena   ? Pourquoi   ?
    —  Parce que l’Empereur a été transféré sur la Saale, et Philibert, qui est un valet des Bourbons et dévoré d’ambition, va le livrer aux Anglais. Je pense que nous devons empêcher ce crime.
    —  Qu’as-tu dit   ?
    —  J’ai dit que j’allais d’abord t’en parler.
    Elle se jetait à son cou, lui picorait les yeux, le front, les cheveux.
    —  Oh mein liebe... Tu veux ma réponse, eh bien, prépare les cuves et emmène l’Empereur en Amérique, cours vite, aménage les tierçons.
    —  Mais toi, mon amour, ils vont te tracasser, te persécuter...
    —  Never mind.,., je sais bien qu’ils vont me tourmenter. Mais je préfère leurs tourments à notre complicité. Nous ne pouvons pas laisser faire ça... J’écris à mon père dès ce soir pour le prévenir. Je suis sûre qu’il approuvera.
    —  C’est lui, dit Pelletreau. Joseph et Las Cases reposaient leurs verres de cognac. Voilà notre ami le lieutenant de vaisseau Besson...
    Besson s’inclinait.
    —  Vous connaissez le roi Joseph, le comte de Las Cases.
    —  Je n’ai pas cet honneur...
    —  Bon, j’ai entretenu nos amis de notre projet. Je leur ai parlé de vous et je leur ai dit que vous pensiez pouvoir échapper à la croisière anglaise.
    —  Je ne crois pas, j’en suis sûr. Je connais les passes comme personne, et je pratique cette rade depuis dix ans. J’ai déjà effectué des traversées, et ma frégate est plus rapide que les vaisseaux anglais.
    —  Lieutenant, M. Pelletreau nous a donné d’excellents renseignements sur vous, mais vous comprendrez qu’avant de vous confier la vie de l’Empereur et de sa suite, j’aimerais en savoir davantage sur votre personne et sur votre projet.
    —  Monsieur le comte, je peux vous résumer ma carrière.
    —  Je vous écoute...
    —  Non, merci, monsieur Pelletreau, décidément pas de cognac. Je vais charger ma cargaison demain, alors vous comprenez...
    Et tourné vers Las Cases   :
    —  Ma vie, monsieur le comte, est un roman d’enfant perdu. J’ai grandi en sauvage dans le village de Dumeau près d’Angoulême. La maison de mon père était riveraine de la Charente, et mon enfance a été envoûtée par l’eau courante. Quand mes frères se bornaient à tailler dans les coudriers des moulins à vent, moi je construisais déjà des petits bateaux de frêne ou de sureau que je dotais d’un mouchoir qui figurait la voile, et qui dérivaient, emportés par les tourbillons. Loin, très loin, vers les rivages mystérieux dont je rêvais. Un jour c’est moi qui ai descendu la rivière jusqu’à son estuaire.
    Quand j’ai vu la mer, c’est comme si j’avais découvert l’Amérique. J’avais neuf ans, je me suis embarqué comme mousse. À treize ans j’étais mousse de première classe sur le Jemmapes. Et à dix-sept ans, au mois d’octobre 1798, j’étais

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