La nuit de l'ile d'Aix
admis comme gabier sur le Foudroyant, un corsaire qui venait d’être lancé à Bordeaux. Nous avons été démâtés et arraisonnés deux jours plus tard, au large de la Bretagne par la frégate anglaise le Phœnix. Le 28, le Phœnix arraisonnait devant nous un navire hollandais qui venait d’une petite île lointaine...
— Quelle île ?
— Sainte-Hélène, monsieur le comte. Et cet arraisonnement a retardé notre marche vers Douvres. Je suis resté deux ans sur les pontons, j’ai été échangé le 24 mars 1801 comme malade incurable...
— De quel mal étiez-vous atteint ?
— Je ne pouvais pas me guérir de l’absence de liberté. C’est la seule maladie dont j’aie jamais souffert. Dès mon retour j’ai repris la mer. Et du service. En 1805 j’étais enseigne auxiliaire et je me suis distingué deux ou trois fois au combat. Le commandant Jacob a écrit à l’amiral : « Je vous prie de bien vouloir recommander aux bontés de l’Empereur, l’enseigne auxiliaire de la canonnière 87, M. Victor Besson... »
Le 24 septembre 1806 j’étais embarqué dans une des cinq frégates qui appareillaient en rade de l’île d’Aix : l’ Infatigable, la Gloire, la Thétis, l’Armada et la Minerve. Avec deux bricks. À 2 heures la Minerve avait son petit mât de hune abattu. Sur l’avant un beaupré coupé. Et pour toute voile il lui restait le grand hunier et la misaine. Cottet, la rage au cœur, nous amenions le pavillon. Nous revoilà sur les pontons anglais. J’ai fait une tentative d’évasion malheureuse. J’ai été interné à l’île de Marsh. Les îles m’ont souvent porté malheur : Sainte-Hélène, Aix, Marsh.
Je me suis évadé le 11 novembre 1809 et j’ai atterri à Hambourg. Là j’ai épousé en 1812 Dora Kuhl, la fille d’un armateur de Kiel qui donnait à ses bateaux le nom de baptême de ses filles : Dorothea, Magdalena, Marghareta.
Quand j’ai appris que la Grande Armée entrait en Russie et que l’Empereur emmenait avec lui des bataillons de marins, j’ai acheté un cheval – à mes frais – et j’ai rejoint ces bataillons. J’ai fait valoir mes états de service et j’ai été nommé capitaine au quatrième équipage de la flottille. Je me suis battu le 18 à Krasnoïe ; le 28 novembre j’étais aux ponts de la Berezina.
Las Cases sursauta :
— Vous avez assisté au passage ?
— Je l’ai vu, monsieur le comte, mais nous ne nous sommes pas attardés. Des huit cent trois hommes et vingt-huit officiers partis pour la Russie, il nous restait cent hommes et douze officiers.
— Vous avez suivi la retraite de la Grande Armée ?
— Non, je me suis replié sur Dantzig. Le port était bloqué par l’armée du tsar et par une flotte anglo-russe. Nous avons tenu six mois. Après l’armistice, le général Rapp m’a nommé enseigne de vaisseau. J’ai retrouvé ma femme et mon beau-père qui lançait un « brick-pour-la-course », le Magdalena , dont il me donnait le commandement. Et en janvier 1815 je suis revenu à Rochefort où j’ai installé ma femme. J’ai été confirmé dans mon grade et j’ai commencé à aménager le bateau pour le transfert de l’eau-de-vie vers les États-Unis.
J’avais demandé trois mois de congé pour organiser notre commerce. Je voulais quitter la marine de guerre. Mais quand l’Empereur est revenu, j’ai repris du service, comme lieutenant de vaisseau. Et maintenant je suis affecté à la préfecture maritime, je rentre chez moi tous les soirs.
— Votre femme est à Rochefort ?
— Bien sûr ! Comme mon travail à l’état-major ne me laisse guère de temps, c’est Dora qui s’occupe des aménagements, des achats et des formalités.
— Si nous parvenons à un accord de principe sur le passage de l’Empereur, il vous faut veiller d’abord à l’organisation matérielle du voyage. J’entends à rendre les tierçons habitables, de telle sorte que quatre ou cinq personnes puissent y vivre, y respirer et y manger pendant plusieurs jours. Le temps de prendre le large et d’être hors d’atteinte des Anglais.
— Nous allons y travailler cette nuit même, dit Pelletreau.
— Et maintenant, dit Las Cases, il faut envisager les modalités financières. Car cet aménagement va vous occasionner des frais, un manque à gagner sur le fret. Et bien entendu la prime de risque...
— Cette prime de risque, dit Pelletreau, elle couvre à la fois son
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