La nuit de l'ile d'Aix
bateau, sa cargaison et sa carrière.
— De toute façon, dit Las Cases, il est préférable pour la régularité de notre accord que vous ayez un contrat pour vous justifier vis-à-vis de vos armateurs.
— Je refuse d’être payé pour ce travail, dit vivement Besson. Je désire simplement qu’on avance l’argent pour moi, et qu’on prévoie la prime de risque pour l’armateur.
— Mettons vingt-cinq mille francs, dit Pelletreau, ça vous paraît convenable, lieutenant ?
— Je vous répète que je ne veux pas d’argent pour moi.
— Bien sûr, mais il faut penser à vos armateurs. Il sourit : Et à moi, qu’il faudra bien rembourser un jour...
— Vingt-cinq mille francs, dit Las Cases, le prix me semble raisonnable. Je vais soumettre le projet à l’Empereur, nous pouvons nous revoir demain matin pour établir le contrat.
— Ici même à 6 heures, dit Pelletreau.
Et quand Las Cases fut parti, il revint vers Besson et l’étreignit contre son épaule :
— C’est très bien ce que vous faites là, mon petit, c’est très bien. Nous ajouterons à votre contrat une clause secrète.
— Quelle clause ?
— Celle qui concerne les vingt mille francs que je vous ai prêtés. Ce sera ma prime personnelle. Et si vous les refusez, je les porterai moi-même à Mme Besson.
Journée du 6 JUILLET
« J’accours pour ramener mes sujets égarés... Revenu sur le sol de la patrie, je me plais à parler de confiance à mes peuples. Mon gouvernement devait faire des fautes : peut-être en a-t-il fait. Il est des temps où les intentions les plus pures ne suffisent pas pour diriger, où elles égarent. L’expérience seule pouvait avertir, elle ne sera pas perdue. Je veux tout ce qui sauvera la France. »
Louis XVIII
À 6 heures Las Cases sonnait chez Pelletreau. Le frère Adolphe la Foi s’était endormi dans son fauteuil, un plaid sur les genoux. Il émergeait de sa couverture, les yeux encore brouillés de sommeil. Avec Besson il avait passé une grande partie de la nuit à fignoler les plans d’aménagement.
— Chaque tierçon mesure près de six mètres de haut, dit Pelletreau, soit soixante mètres cubes environ à organiser, et à rendre respirables. Nous avons décidé de faire brûler du soufre pour chasser les vapeurs d’alcool et des cassolettes d’ambre pour atténuer l’odeur violente de cognac dont les cuves sont imprégnées. Nous avons fixé la longueur et l’acheminement des tuyaux de respiration vers la coque à l’air libre. Et puis nous avons tout prévu : la glacière, les lits, les éventails, les livres, les meubles. Les sels en cas de syncope. Tenez, voilà le plan d’aménagement : quatre personnes par tierçon. Les cuves seront refermées exactement comme celles qui sont pleines de cognac. Elles seront matelassées et sonorisées de telle sorte qu’elles offriront la même résonance que les autres à un sondage. Les toits des cuves seront dévissés deux fois par jour pour le contrôle de santé. Nous avons prévu aussi une sorte de tube acoustique, de porte-voix pour appeler en cas de malaise des passagers...
Le marteau de la porte d’entrée battait contre le tambour. Besson entrait les cheveux en désordre, l’œil fripé.
— Bonjour, monsieur le comte, nous n’avons guère dormi avec M. Pelletreau.
Las Cases se penchait sur le plan.
— Je dois vous dire que l’Empereur est très intéressé par ce projet. J’ai rédigé avec Sa Majesté le projet de contrat que je vais vous soumettre.
Il tira de sa poche deux papiers pliés en quatre, les déploya, les aplatit sur la table.
— Si vous voulez en prendre connaissance, les clauses sont conformes à nos accords verbaux.
Pelletreau s’en saisit avidement, se cala sur un fauteuil, et la tête entre les mains lut à mi-voix selon son habitude. Son chuchotement de comptable s’égrena pendant de longues minutes. Enfin il releva la tête.
— C’est conforme à nos accords. Tenez, lisez.
Il tendit le papier à Besson. Le jeune homme le parcourut distraitement et le reposa sur la table.
— Messieurs, je m’en remets à vous.
— Voulez-vous le signer ?
« Entre le comte de Las Cases, d’une part, pour compte de qui il appartiendra, et Besson, lieutenant de vaisseau de la marine impériale, de l’autre pour compte de M.F.F. Frulh d’Oppendorf, habitant en Danemark.
Nous soussignés, nous engageons de suivre les articles ci-après
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