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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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Faubourg-Saint-Honoré. Personne ne se retournait sur leur passage. Le peuple ignorait encore le désastre.
    Caulaincourt avait veillé toute la nuit et guettait ensommeillé devant une fenêtre du rez-de-chaussée. La berline à peine entrée dans la cour, il dévalait le perron, ouvrait la portière et aidait Napoléon à monter les marches. L’Empereur était blême, bouffi de fatigue et d’insomnie, les yeux gonflés, les jambes flasques.
    —  Eh bien, Caulaincourt, voilà un grand événement   ! Comment le pays va-t-il supporter cette épreuve ?
    —  Il est encore trop tôt pour en parler, sire.
    —  Je les ai accoutumés à tant de triomphes. Sauront-ils supporter un jour de malheur   ? Je suis exténué... Appelez Marchand, je voudrais un bouillon. Et qu’il me fasse couler un bain... Voilà trois mois que je tiens la France à bout de bras, voilà trois nuits que je n’ai pas dormi. J’ai vu trop de choses depuis trois jours... Ah ! Caulaincourt, si vous saviez... L’armée a fait des prodiges. Une terreur panique l’a saisie. Tout a été perdu... Je n’en peux plus. Il me faut quelques heures de repos pour être à mon affaire. Je retrouverai des hommes et des armes. Tout peut se réparer.
    Au haut du perron il s’arrête, souffle bruyamment, se cramponne au bras de Caulaincourt. Et appuyant sa paume sur son cœur   :
    —  Ah, j’étouffe, j’étouffe là...
    Il traverse la chambre d’honneur et le cabinet de parade. Il va s’affaler sur le sofa de son cabinet de toilette. Son regard absent erre des fenêtres aux boiseries, de la table à la bibliothèque.
    Caulaincourt revient sur la pointe des pieds   :
    —  Sire, le roi Joseph est arrivé.
    Napoléon se relève péniblement   :
    —  Aidez-moi à me déshabiller.
    Et tandis que le grand écuyer tire les manches de la redingote qui lui colle aux os depuis le soir de Waterloo {11} et qui vire au gris de deuil dans la pénombre   :
    —  Vous êtes peut-être étonné de me voir ici, Caulaincourt   ? Savez-vous que j’ai essayé de me faire tuer avec ma Garde... Les balles sifflaient à mes oreilles. Il faut croire que ce n’était pas mon jour...
    —  Sire, dit fermement Caulaincourt, j’aurais préféré vous voir rester à la tête de votre armée.
    —  Je n’ai plus d’armée, il n’y a plus rien. Ah   ! si vous aviez vu cette panique entre Quatre-Bras et Charleroi... Pour la première fois de ma vie j’ai entendu des soldats français crier   : « Sauve qui peut... » Mais je referai une armée... Où est Ney, où est Grouchy... prévenez Grouchy...
    Caulaincourt hoche la tête   :
    —  C’est l’armée qui fait votre force, sire...
    Ali s’encadrait dans l’embrasure.
    —  Si Votre Majesté veut me suivre, le bain est prêt.
    Marchand déshabille l’Empereur. Il défait lentement les habits comme il déroulerait un pansement. Avec des attentions de sœur de charité. La chemise et le gilet de peau poisseux de sueur et de chevauchées adhèrent à la chair comme une glu à un appeau. Napoléon marche nu, sans gêne {12} , vers sa baignoire, devant Caulaincourt, Joseph et Marchand, familiers de la scène. Il évolue avec la même aisance dans cette nudité grasse, grêle et soufflée de poussah ventru, que lorsqu’il s’avance drapé sous les abeilles d’or du manteau impérial. Une bedaine greffée sur de courtes jambes, la chair adipeuse et ballonnée, la peau molle et plissée, une poitrine potelée {13} d’androgyne, un sexe d’enfant ballottant sous le pubis imberbe {14} . Apparaît La Valette en frac et jabot.
    Napoléon lève les bras au ciel, avance tout nu vers son directeur des Postes et « avec un rire épileptique effrayant {15}   » :
    —  Ah, mon Dieu, mon Dieu !...
    Il fait deux tours sur lui-même et s’enfonce dans sa baignoire. Il émerge, s’ébroue, souffle des bulles et des imprécations.
    « ...Il a suffi d’un traître pour ruiner les espoirs de la Patrie, l’infame Bourmont..., et dire que j’avais pardonné à ce renégat... Ney a fait écharper mon armée... »
    Il recrache de l’eau savonneuse et mêle des malédictions à ses borborygmes   : « Waterloo   ! journée inexplicable, concours de fatalités inouïes... Singulière campagne où en moins d’une semaine j’ai vu s’échapper trois fois de mes mains le triomphe de la France et les fixations de ses destinées {16} . »
    Entre Davout, ministre de la Guerre. Le roi Joseph est accoté au

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