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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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Lallemand.
    Napoléon hésitait, se mordait les lèvres.
    —  Je vais réfléchir.
    Joseph explosait   :
    —  Il ne s’agit pas de réfléchir, mais de décider.
    Lallemand n’osait pas intervenir. Joseph se résignait à repartir. Il serrait Napoléon sur son cœur en une étreinte mêlée de sanglots. Ils savaient tous les deux que c’était le dernier adieu. Joseph abandonna son bagage et son uniforme de colonel de La Garde. Les deux frères ne devaient plus jamais se revoir. Très vite, Napoléon avait repris son impassibilité et Lallemand se risqua à une diversion   :
    —  Sire, si le voyage sur la Seudre vous rebute, j’ai une autre solution à vous proposer.
    —  Quelle solution   ?
    —  Le soir de mon arrivée à Bordeaux, Baudin m’a conduit chez le général Clauzel. À 2 heures du matin, le général nous introduisait chez M. Lee, consul des États-Unis {84} . Lee a littéralement sauté au cou de Clauzel et il a demandé au capitaine du Pyke de se tenir prêt à appareiller. Ce Pyke est le navire le plus rapide du monde. Alors voilà ce que je propose, sire. Vous allez feindre une indisposition. Marchand va interdire votre porte pendant vingt-quatre heures. Vous êtes malade, fiévreux, alité. Vous avez besoin de silence et de repos. Et quand Marchand ouvrira la porte, vous serez déjà en Gironde.
    —  Votre proposition demande réflexion. Mais il est bien tard. Savez-vous que j’ai vu le capitaine Besson et que je lui ai dit que nous allions embarquer ce soir ou demain. Bien entendu vous êtes du voyage...
    Lallemand balbutia   :
    —  Sire, vous me redonnez la vie...
    Il n’eut pas le temps d’exprimer plus avant sa gratitude.
    —  Sire, le général Alméiras est en bas.
    —  Dites-lui de monter.
    Après une brève entrevue avec l’Empereur, le général Gourgaud a repris la mer pour un court voyage. Son canot va le conduire à bord de la Saale et de la Méduse.
    —  Vous remettrez de ma part cette paire de pistolets au commandant Philibert et au capitaine Ponée. Et vous leur annoncerez que j’ai décidé de me rendre à la croisière anglaise.
    Gourgaud ne bronche pas. Il élude la question qui lui brûle les lèvres   :
    —  Est-ce votre véritable décision que je communique, ou s’agitil d’une feinte pour endormir la méfiance de Philibert   ?
    —  Sa Majesté a tenu à honorer par ce souvenir l’hospitalité qu’Elle a reçue à votre bord.
    Philibert remercie froidement   :
    —  Je n’ai fait que mon devoir.
    Autre son de cloche sur la Méduse. Les officiers entourent Gourgaud, le pressent de questions   :
    —  Mais vous ne savez pas où vous allez   !
    —  C’est de la folie.
    —  Il faut dissuader l’Empereur de ce funeste projet.
    Chacun pense que si Napoléon était monté sur la Méduse , il voguerait déjà vers l’Amérique ; chacun le dit.
    Gourgaud laisse s’écouler ce flot d’amertume et prend congé.
    —  Capitaine, personne n’a le pouvoir d’influencer la décision de l’Empereur.
    Dans le canot du retour il remâche sa défiance   : sa démarche n’a-t-elle pas d’autre finalité que d’égarer les soupçons et d’alimenter la fausse rumeur   : l’Empereur se rend aux Anglais... Mais lui, Gourgaud, quel rôle lui fait-il jouer dans cette comédie   ? Il feint de se rendre aux Anglais pour mieux endormir son monde. Si c’est moi le messager de la fable il va m’entendre   !
    Alméiras, cinquante ans, ancien de la campagne d’Égypte, fidèle entre les fidèles, commande la garnison de l’île. Tondu, massif, balafré, nez en chou-fleur, moustache en jachère et basané comme si le soleil d’Héliopolis avait boucané à tout jamais cette hure mafflue de vieux reître.
    —  Sire, savez-vous à quoi je pensais en montant l’escalier   ? Je revoyais notre arrivée devant les remparts du Caire quand toute la population s’était massée sur les créneaux pour assister à notre massacre. Comme les Espagnols sur les gradins d’une arène. Ils ont applaudi quand ont défilé les janissaires, je veux dire les mamelouks. Ils étaient bien vingt-cinq mille qui sortaient d’un camp du désert ou d’un conte d’Orient, chamarrés, étincelants, damasquinés. Des vizirs à trois queues, des beys à barbe d’ébène. Un carrousel de yatagans, de turbans et de cimeterres sur leurs petits chevaux carnassiers qui s’apprêtaient à boire notre sang. Nous, nous étions treize mille loqueteux, couverts de

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