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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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vous m’avez envoyé rassurer Philibert et Ponée, alors que vous vous apprêtez à embarquer cette nuit.
    —  Mais je ne vous l’ai pas caché   !
    —  Sire, c’est une solution incompatible avec votre dignité. C’est une fuite.
    —  Je ne fuis pas, je m’échappe. C’est un peu différent.
    —  Et si vous êtes fait prisonnier sur le navire   ?
    —  Je suis encore le maître, je peux me tuer.
    —  Au Mont-Saint-Jean c’était possible, aujourd’hui Votre Majesté ne peut plus.
    —  Pourquoi   ?
    —  Un joueur se tue. Un grand homme d’État brave l’adversité.
    —  C’est vous qui avez raison, Gourgaud. Ne m’étant pas donné la vie je ne me l’ôterai pas. Du moins tant qu’elle voudra bien de moi.
    —  Sire, avez-vous pensé qu’en Angleterre le peuple vous réserve un accueil triomphal   ? Et le gouvernement une résidence digne de vous   ? C’est le seul parti raisonnable et digne de votre rang. Vous ne pouvez pas jouer le rôle d’un aventurier. Avez-vous pensé que la postérité vous reprochera un jour d’avoir abdiqué pour mieux fuir ?
    —  Me rendre aux Anglais, croyez-vous que je ne l’aie pas fréquemment envisagé depuis notre arrivée à Rochefort   ? C’est le parti de la sagesse et de la facilité. Bien sûr, je serais traité avec égards en Angleterre. Mais je garde de ma première enfance une sorte de répugnance pour les Anglais. Paoli qui a fini par se vendre aux Anglais m’avait condamné à mort. Il repose aujourd’hui à Westminster Abbey. Voyez-vous ma tombe dans une chapelle britannique aux côtés de mon ennemi mortel ? Ce serait m’envoyer en enfer. Et l’idée même de vivre au milieu de mes ennemis les plus acharnés me répugne. Leur générosité m’accable par avance. Leurs prévenances seraient pour moi une humiliation quotidienne.
    Vous me parlez de l’Histoire   ? Que pouvons-nous augurer du jugement de la postérité ? Quel historien pourrait un jour me faire grief d’avoir cherché à conserver ma liberté en m’expatriant aux États-Unis   ? Serais-je le premier souverain de l’Histoire à avoir cherché le salut dans l’exil ? Allons, Gourgaud...
    Gourgaud se raidit, continue d’exhaler sa colère et sa rancœur.
    —  Ainsi vous emmenez Savary, ce vrai médiocre et le mamelouk Ali, ce faux janissaire. Et vous laissez en rade l’homme qui est prêt à donner sa vie pour vous... Et Lallemand...
    Napoléon élude les questions concernant Ali et le duc de Rovigo.
    —  Je préférerais bien sûr vous emmener plutôt que Lallemand, mais Lallemand connaît bien l’Amérique et il est l’ami du capitaine Besson. Vous aviez raison de vouloir partir avec moi, car je vous suis fort attaché. Je suis habitué à vous, mais mon rôle est fini. Une fois en Amérique je vais vivre comme un simple particulier. Vous espériez peut-être un retour comme celui de l’île d’Elbe   ? C’est désormais impossible. Songez qu’il faut près de deux mois pour revenir. Qu’avez-vous à espérer à mes côtés dans cet exil ? Non, Gourgaud, votre avenir est en France. Redoutez-vous si fort la vengeance du roi ?
    —  Sire, je ne crains rien des Bourbons, je n’ai rien à me reprocher sinon mon attachement à votre personne. Je ne suis pas venu à vos côtés par intérêt ou par ambition, mais parce que Votre Majesté est dans le malheur. On ne peut me supposer d’autres vues que celles d’un dévouement sans borne à un grand homme vaincu et abattu.
    Au même instant une fauvette de mer entra par la fenêtre. L’oiseau hésita un instant et se posa sur les montants de fer forgé de la fenêtre.
    —  C’est signe de bonheur, dit Gourgaud.
    Et d’un geste preste il s’empare de l’oiseau et referme sur les ailes ployées sa longue main osseuse. Il l’élève dans la lumière déclinante. La fauvette pépiait terrorisée.
    —  Sire, nous le gardons   ?
    —  Il y a assez de malheureux au monde, dit l’Empereur, rendez-lui sa liberté.
    Gourgaud ouvre la main et l’oiseau prend son envol.
    —  Voyons les augures, dit Napoléon.
    La fauvette piquait droit sur l’ouest et se dirigeait sur le Bellerophon. Napoléon plisse le front, se mord les lèvres et referme la fenêtre. Il est visiblement désireux d’en finir avec les palinodies de Gourgaud.
    —  Écoutez, Gourgaud, en nous serrant nous pourrons bien tenir un de plus. Puisque vous tenez tant à partir avec moi, allez vous préparer.
    —  Je

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