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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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point aller plus vite, ni autrement que les mobiles naturels qui sont en moi. Je n’ai jamais à combattre ni pour elle ni contre elle, elle n’est jamais plus pressée que moi, elle ne va qu’avec les circonstances et l’ensemble de mes idées. Finalement je n’ai eu qu’une seule ambition. L’ambition de dominer les esprits. C’est la plus forte de toutes les passions.
    —  Et la passion de la guerre   ? Le vice de la guerre   ? Vingt ans de guerre.
    —  Mais étaient-elles donc de mon choix   ? N’étaient-elles pas toujours dans la nature et la force des choses, toujours dans cette lutte du passé et de l’avenir, dans cette coalition constante et permanente de nos ennemis qui nous plaçaient dans l’obligation d’abattre ou d’être abattus ? D’ailleurs mes batailles ne peuvent être jugées isolément. Elles n’avaient pas d’imité de lieu, d’action, d’intention. Elles n’étaient qu’une petite partie de très vastes combinaisons. À la guerre tout est moral... Mais aujourd’hui la guerre est un anachronisme... Les nations s’accorderont un jour sans canons ni baïonnettes. À la longue le sabre est toujours battu par l’esprit.
    —  Votre sabre à vous a souvent combattu l’esprit. Parlez-nous de Mme de Staël ; parlez-nous de Chateaubriand.
    —  Je n’ai rien à reprocher à Chateaubriand. Il m’a résisté du temps de ma puissance. Il écrit dans la langue du prophète.
    —  Parlons-en, c’est avec cette langue de prophète qu’il a écrit que chez tous les peuples d’Europe où vous êtes passé vous n’avez suscité que de la haine, du désespoir et de la rancœur.
    —  J’étais le soleil qui parcourt l’écliptique en traversant l’équateur. À mesure que j’arrivais dans le climat de chacun, toutes les espérances s’ouvraient. On me bénissait, on m’adorait. Mais dès que j’en sortais on ne me comprenait plus, venaient alors les sentiments contraires.
    —  Et pourquoi ne vous comprenaient-ils plus   ?
    —  Comment leur faire comprendre que je n’ai jamais été maître de mon mouvement   ? Que je n’ai jamais été tout à fait moi... ? Il faut être bien étranger à la marche du génie pour croire qu’il se laisse écraser sous des formes. Les formes sont faites pour la médiocrité. Il est bon que celle-ci ne puisse se mouvoir que dans le cercle de la règle.
    —  C’est au nom de ces principes que vous avez étranglé la Révolution et bâillonné le peuple.
    —  Je suis l’homme du peuple. La fibre populaire répond à la mienne. La Révolution c’est moi. Je suis soldat, enfant de la Révolution, sorti du sein du peuple. Je ne permettrai pas qu’on m’insulte comme un roi. J’ai été le Brutus des rois et le César de la République.
    —  Il faut inverser ta formule. Tu as été le César des rois et le Brutus de la République.
    —  Mon élévation est sans exemple parce qu’elle n’a été accompagnée d’aucun crime. J’ai livré et gagné cinquante batailles rangées. J’ai formé et mis en vigueur un code de lois qui fera parvenir mon nom à la postérité. J’ai toujours pensé que le gouvernement résidait dans le peuple. Et dans l’harmonie que je méditais pour le bien-être et les ressources nouvelles. S’il fut un défaut dans ma personne et dans mon élévation, c’est d’avoir surgi tout à coup de la foule. Je sentais mon isolement. Aussi je jetais de tous côtés des ancres de salut au fond de la mer.
    Et ils se penchaient tous, Manuel, Lanjuinais, Davout, Fouché, La Fayette... Et Decrès qui venait d’arriver. Decrès dont la tête de méduse était dilatée par d’affreuses grimaces et qui criait   : « La seule ancre de salut du fond de la mer c’est celle du Bellerophon... » Et ils se rapprochaient tous, le serraient comme pour l’étouffer.
    Et Davout après avoir chuchoté à l’oreille de Fouché lui lançait   :
    —  Sais-tu que tu vas être condamné à mort.
    —  Je suis un homme qu’on tue, mais qu’on n’outrage pas.
    —  Et tu ne regrettes rien   ?
    —  Imbécile..., quel est l’homme qui ne voudrait être poignardé à la condition d’avoir été César ?
    —  Eh bien, tu l’auras voulu.
    Ils étaient trois ou quatre à se pencher sur lui, à le soulever. « Et les poignards luisaient aux yeux des assassins. »
    Il se débattait, se relevait, criait... Les mains s’abattaient sur lui, il les voyait maintenant. Et il distinguait leurs

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