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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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à Jourdan.
    —  Sur L’Épervier   ?
    —  Bien sûr. Tu lui remettras ceci...
    Et Philibert griffonne nerveusement six lignes.
    —  Tu lui diras qu’il faut gagner les émissaires de... enfin tu lui diras de faire vite. Très vite. Il faut qu’il appareille sur-le-champ.
    Un quart d’heure plus tard, le capitaine Jourdan lit le message et lève sur le messager de Philibert un regard embué.
    —  Vous voyez, dit Borgnis Desbordes {95} , si vous ne gagnez pas de vitesse les envoyés du roi, Napoléon risque d’être arrêté à votre bord.
    Jourdan se cabre   :
    —  Qu’est-ce que vous dites   ? Arrêté   ? Écoutez bien, lieutenant, j’ai cent hommes d’équipage et dix canons. Moi vivant, personne ne pourra arrêter l’Empereur à mon bord. Même si je devais ouvrir le feu sur un bâtiment français.
    —  ... Appareillage terminé, capitaine, vent de nord-ouest.
    Jourdan se penchait par-dessus la passerelle   :
    —  À la rade des Basques.
    Il y a le pinceau du phare qui projette par intervalles sa lanterne mouvante entre les volets. Il y a le grand murmure de la mer au pied des contrescarpes. Il y a un oiseau solitaire dans les ormes et dont le cri d’amour chante comme un appel au départ pour des rivages inconnus.
    Il y a les pas et les voix qui s’étouffent dans les escaliers.
    Il y a le cœur du silence qui bat obstinément dans la pendule de la cheminée.
    Il se tourne et se retourne dans l’étroite alcôve. La phrase de Beker fait son chemin, remonte les escaliers nocturnes du sang et vient frapper aux portes du cœur   : « S’ils vous reprennent... »
    La chambre grouillait autour de lui, se peuplait de visages obscurs et de murmures confus. Et ces cris, ces lumières et ces ombres, ces vagues et ces cliquetis tournaient autour de l’homme seul, ce carrousel de bruits, de silences et de clartés se prolongeait en lui, entrait dans sa pensée flottante, le repoussait insensiblement vers des provinces de limbes cotonneuses... Beker a raison, si les Bourbons me reprennent, ils me feront passer en jugement. Mais quel procès   ? Quels juges   ? Au nom de quel code   ? Quels chefs d’accusation   ? Que savent-ils de moi ces vers de vase   ? Oh, il y aura toujours un Roux-Laborie ou un Lanjuinais pour jouer les Fouquier-Tinville. Je les écraserai...
    Il finit par sombrer dans un repos comateux à mi-chemin entre rêve et veille. Il ne savait plus s’il aidait les images à entrer dans son rêve ou si les visions se formaient à son insu.
    Une sonnette trouait le silence. Peut-être l’horloge... Non... Une sonnette stridente. Et des hommes se penchaient sur lui. Il distinguait leurs yeux dilatés d’oiseaux de nuit, leurs nez crochus de rapaces, leurs mains aux griffes de prédateurs. Des lunettes cerclées d’or, des rubans et des couperoses. Les hommes qui s’agitaient sur les bancs de la venelle il les reconnaissait un à un, Manuel, Lanjuinais, Davout, Fouché, La Fayette, Joncourt, Bourmont. Et les voix montaient des venelles de la chambre. Et c’est La Fayette qui menait le bal avec sa tête chenue de momie poudrée, sa voix de chèvre acide et cette queue de cheval qui ballottait sur ses épaules étriquées. La voix montait de l’alcôve, peut-être du jardin, ou des profondeurs de son sang, il ne savait plus.
    Les voilà, ils sont tous rassemblés, assis sur le lit ou debout sur des bancs.
    —  Répondez, Buonaparte, tout cet argent que vous avez placé chez Laffitte, d’où vient-il   ? Vous avez toujours été guidé par l’intérêt...
    —  Quel intérêt   ? L’intérêt n’est que la clef des actions vulgaires. Je ne suis pas concerné.
    —  Alors, parlez-nous de la liberté. La liberté écrasée, traquée, bannie par vous depuis vingt ans.
    —  Je ne hais point la liberté. Je l’ai écartée lorsqu’elle obstruait ma route, mais je la comprends, j’ai été nourri de ses pensées.
    —  Et cette manie de paraître, la passion des parades, tout cet apparat ostentatoire qui dilapidait les ressources du pays. Cette coûteuse vanité...
    —  Je n’ai point de vanité. La vanité, c’est l’orgueil des faibles.
    —  Mais l’ambition, c’est le ressort des tyrans.
    —  Je n’ai point d’ambition..., ou si j’en ai, elle m’est si naturelle, elle m’est tellement innée, elle est si bien attachée à mon existence qu’elle est comme le sang qui coule dans mes veines, comme l’air que je respire, elle ne me fait

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