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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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vaincus {30} .   »
    À l’île d’Elbe, on a arrêté un des tueurs payés pour me poignarder. Il a avoué. Je lui ai fait grâce. On l’a remis sur le premier bateau. Je vous parlais de Fouché   ? Avant de partir pour l’armée, j’ai constitué un Conseil de guerre pour le juger. J’ai confié le commandement de ce Conseil de guerre au général Darricau. Il était prêt à fonctionner. Avant-hier, avant l’abdication, j’ai été tenté de convoquer Darricau. Douze balles et l’affaire était terminée, les représentants muselés et je reprenais la tête de l’armée. J’aurais dû le faire, mais j’étais épuisé. J’aurais pu dissoudre les Chambres. Mais le courage m’a manqué. Je ne suis qu’un homme... Lucien dit que la fumée du Mont-Saint-Jean m’a tourné la tête. Peut-être a-t-il raison. Il a été le seul à me pousser. J’ai reculé devant le souvenir du 18 brumaire. Et puis tous les autres m’ont assiégé. Joseph, surtout Joseph. Pauvre Joseph   ! Il n’était pas destiné à régner. Il est né comme moi dans la dernière médiocrité. Je me suis élevé par mes actions. Lui est resté au point où sa naissance l’a placé. Il pense à son avenir. Lui et les autres. C’est l’éternel conflit entre la morale et l’intérêt. On croit que les hommes sont mus par un idéal, par un grand dessein, par l’amour des grandes idées. En réalité ils sont gouvernés par l’écuelle de la fin du mois. Il y a des écuelles en bois, en terre cuite, d’autres sont d’or et d’argent, mais c’est toujours l’écuelle et le fricot qui y mijote qui gouvernent les actes et les passions.
    Regardez-les, ceux qui s’apprêtent à vendre la France et à toucher leurs deniers. On me dit que Davout a envoyé aujourd’hui des parlementaires aux Alliés. Le mot d’ordre des Anglais et des Prussiens est propagé par Fouché   : les Anglais ne font la guerre qu’au seul Napoléon. Et La Fayette répète à qui veut l’entendre qu’il n’y a qu’un seul obstacle entre la paix et nous. « Qu’il s’en aille et nous aurons la paix. » Ce sont ces manœuvres et ces défections qui favorisent la marche des Alliés à travers nos provinces. Plus que la force de leurs troupes. Je suis le dernier obstacle à la trahison. Je suis devenu un gêneur.
    Savez-vous que ce matin, Dupin, un obscur député de l’Allier mandaté par Fouché, a proposé que « l’ex-Empereur soit invité à quitter la capitale où sa présence ne pourrait être que cause de troubles et occasions de dangers publics   ». Ils font courir des bruits d’attentats contre moi. Aujourd’hui ils ont renforcé ma Garde en invoquant ce prétexte. Les misérables   !... Qui pourrait fomenter un attentat contre moi en dehors d’eux, j’entends les Chambres, les corps constitués, la bourgeoisie   ? Tous ceux qui espèrent que le retour à l’ordre ancien va s’effectuer en douceur, sans convulsions ni affrontements et qu’ils retrouveront en juillet l’État monarchiste et la rente stable d’avant le 20 mars.
    Le couronnement de l’entreprise serait de me livrer aux Bourbons. Je ne leur en laisserai pas le temps.
    Il fut brusquement secoué d’un spasme nerveux, porta la main à sa poitrine. Les paupières battantes, la bouche crispée, les yeux révulsés et d’une voix plaintive, comme trois jours plus tôt à Caulaincourt   :
    —  J’étouffe..., j’étouffe... là.
    Il s’était affalé sur un sofa, et il comprimait son cœur de ses paumes. Hortense, affolée, était tombée à ses genoux. Flahaut balbutiait   :
    —  Sire, voulez-vous que...
    Napoléon faisait non de la tête. Il tendait une main à Hortense pour qu’elle l’aide à se relever, et une fois sur pied marchait doucement à travers la chambre dont Flahaut ouvrait la fenêtre.
    —  Sire, voulez-vous que j’aille chercher Corvisart ?
    —  Je l’attends ce soir. Inutile de lui mettre martel en tête. Je vais me reposer un moment, merci.
    C’était une vaste pièce circulaire au plafond de bois à moulures incrustées et dont les murs étaient creusés de niches et de châsses qui avaient dû naguère accueillir des ex-voto, des plâtres bénits ou des vierges sous globe ; elle abritait aujourd’hui un bric-à-brac de savant éclectique   : mappemonde, télescope, balances, cornues, lancettes, lunettes marines. La bibliothèque d’acajou verni occupait le fond de la salle et ses rayons étaient gorgés de centaines

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