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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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d’in-folio aux reliures disparates. Sur le bureau, un dictionnaire de médecine, une loupe, une trousse, des cahiers. Un seul siège devant le bureau   : le fauteuil cannelé des patients.
    —  Asseyez-vous, madame.
    Hortense se laissa tomber sur le fauteuil.
    Le docteur Corvisart avait l’œil brun, le sourcil touffu, le nez épaté, la lèvre sensuelle, les cheveux de crin vaporeux, un regard perçant comme un scalpel et indiscret comme un douanier. Il vous fouillait dès l’entrée et on se sentait coupable et vaguement inquiet devant ce détecteur de sang noir.
    —  Eh bien, madame   ? Que puis-je pour vous, vous avez l’air en parfaite santé.
    Il se penchait sur elle, lui relevait la paupière d’un pouce scrutateur.
    —  La sclérotique est claire.
    —  Mais je ne viens pas vous voir pour moi   ! s’écriait Hortense, c’est pour l’Empereur.
    —  Comment l’Empereur   ? dit Corvisart de sa voix de contralto, mais je l’ai vu ce matin.
    —  Il a eu une sorte d’attaque.
    Corvisart sourit   :
    —  C’est un vocable qui lui est familier. Ne serait-ce pas plutôt un étouffement passager, une légère oppression cardiaque   ?
    —  Oui, c’est exactement ça...
    —  Et c’est passé très vite, n’est-ce pas   ? Quand vous l’avez laissé il était déjà soulagé ?
    —  Oui.
    —  Eh bien, je vais le voir ce soir. Depuis que ces petits accidents se multiplient, je ne vous cache pas que je nourris quelque inquiétude.
    —  C’est récent, ce genre d’accident cardiaque   ?
    —  Oh, depuis deux ou trois ans déjà. Vous prendrez un verre de madère ?
    Hortense fit oui de la tête et Corvisart sorti lui-même le flacon et disposa les verres sur la petite table de marqueterie, devant la bibliothèque, où il rédigeait ses ordonnances.
    Le médecin avala son verre d’un trait. Hortense lampa une gorgée.
    —  Des inquiétudes de quel ordre, docteur   ?
    Corvisart ébaucha un grand geste circulaire.
    —  Vous avez quelques minutes à m’accorder   ?
    —  Bien sûr.
    Il s’était relevé et marchait la tête au plafond, les mains aux entournures de son gilet.
    —  Vous savez que tous les hommes reçoivent à leur naissance un héritage plus ou moins actif de maladies transmises par leurs ancêtres... Or le père de l’Empereur est mort de cirrhose cardiaque... Et Napoléon a été un enfant nerveux, irritable, fréquemment en proie à des crises de larmes et à des insomnies... Ses réactions à la souffrance, aux insultes et aux abus sont considérablement violentes. Il m’a souvent dit   : « Je ne peux rien supporter de désagréable et d’offensant. » Son équilibre est sauvegardé par cette lenteur du flux sanguin {31} commune aux Mayas et à quelques peuplades sauvages. Il me confiait avant la campagne de France   : « Avec l’état de mes nerfs, je me sens en danger de devenir fou si mon sang ne travaillait si lentement. »
    —  Qu’entendait-il par là   ?
    —  Que ses artères donnent un peu moins de pulsations que la moyenne des hommes ordinaires. Chez lui la contractivité du cœur est si peu prononcée qu’on sent à peine les mouvements de cet organe, la main appliquée sur sa poitrine. Et même dans les périodes de tension, l’accélération cardiaque est insignifiante. En revanche cette tension se traduit par une kyrielle de tics nerveux et de réflexes incontrôlés. Quand il médite, son épaule est contractée par des mouvements sporadiques, indépendants de sa volonté. Il m’a dit   : « Les vibrations de ma jambe gauche sont significatives, cela veut dire que je suis en colère. » Dans les voyages où je l’ai accompagné, je l’ai vu dans des moments de grande préoccupation saisir un canif, lacérer ses vêtements ou l’étoffe du siège qu’il occupait. Quand il était en proie à une contrariété, il se mordait les doigts, littéralement, jusqu’à se faire mal. Après des ébats amoureux, des exercices violents ou des émotions intenses, il est agité de tremblements et de convulsions. Il se « roule par terre   », en catalepsie. Ces convulsions peuvent durer quelquefois quinze minutes.
    —  Vous l’avez vu   ?
    —  Deux fois. Mais Augereau m’a dit qu’au 18 brumaire, quand ont retenti les cris de « Hors-la-loi   », il a fallu l’entraîner hors de la salle, au bord de la syncope. Il s’est labouré le visage avec ses ongles. Il était couvert de sang, et les grenadiers croyaient

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