La nuit de l'ile d'Aix
d’un siège qui interromprait les spéculations et dérangerait les financiers. Or dans notre état de civilisation ce qu’il y a de plus insupportable, c’est ce qui dérange... Il vaut mieux que vous partiez.
— Pourquoi ne resterais-je pas ici ? Que voulez-vous que les étrangers fassent à un homme désarmé ? J’irai à Malmaison, j’y vivrai dans la retraite avec quelques amis qui ne viendront certainement me voir que pour moi.
Et l’Empereur ajoute, mi-sérieux, mi-plaisant :
— Si l’on ne me veut pas en France, où veut-on que j’aille ? En Angleterre ? Mon séjour y sera ridicule ou inquiétant. J’y serais tranquille qu’on ne le croirait pas. Chaque brouillard serait soupçonné de m’apporter sur la côte. Au premier aspect d’un habit vert débarquant d’une chaloupe, les uns s’enfuiraient hors de France, les autres mettraient la France hors la loi. Je compromettrais tout le monde et, à force de dire : Voilà qu’il arrive, on me donnerait la tentation d’arriver... L’Amérique serait plus convenable ; j’y pourrais vivre avec dignité... Mais, encore une fois, qu’ai-je à craindre en restant ? Quel souverain pourrait, sans se nuire, me persécuter ? J’ai rendu à l’un la moitié de ses États : que de fois l’autre m’a serré la main en m’appelant grand homme ! et le troisième peut-il trouver plaisir ou honneur dans les humiliations de son gendre ? Voudront-ils, à la face de la terre, proclamer qu’ils n’ont agi que de peur ?
Au reste, je verrai ; je ne veux point lutter par la force ouverte. J’arrivais pour combiner nos dernières ressources : on m’abandonne... on m’abandonne avec la même facilité avec laquelle on m’avait reçu !... Eh bien !... qu’on efface, s’il est possible, cette double tache de faiblesse et de légèreté ! qu’on la couvre au moins de quelque lutte, de quelque gloire ! qu’on fasse pour la Patrie ce qu’on ne veut plus faire pour moi... Je ne l’espère point. Aujourd’hui, ceux qui livrent Bonaparte disent que c’est pour sauver la France : demain, en livrant la France, ils prouveront qu’ils n’ont voulu sauver que leurs têtes.
— Sire, à quelques exceptions près, le désir des hommes est de couper toute communication entre eux et le malheur {28} .
Lazare Carnot qui succède à Benjamin Constant va au-delà du constat du philosophe : « Tant que vous avez été à la tête d’une Nation, tout prodige de votre part était possible. Aujourd’hui vous n’avez plus qu’une solution : Fuyez, gagnez les États-Unis... »
Comme pour appuyer la supplique de Carnot, arrive un courrier du ministre de la Marine qui lui transmet la liste des navires demandée par Bertrand.
« Si vous choisissez de vous embarquer pour l’Amérique, je vous recommande une goélette qui va appareiller dans deux jours au Havre. Son capitaine est dans mon antichambre. Sa chaise de poste est à ma porte. Il va partir. Je réponds de lui. Demain si vous le voulez, vous serez hors de portée de vos ennemis. Je peux le faire patienter, je vous demande seulement de me donner une réponse rapide. »
Napoléon relit le message, fronce les sourcils et le tend à Flahaut.
— Regardez ce poulet. M. Decrès, M. Fouché et les autres souhaitent me voir partir. Je comprends leurs manœuvres, ils voudraient se débarrasser de moi et me faire prendre. Je n’ai pas dit mon dernier mot. Savez-vous que, hier, quand Davout a fait présenter les armes aux soldats de Grouchy pour rendre les honneurs aux représentants, que ces pantins ont été accueillis par les grenadiers aux cris mille fois répétés de Vive l’Empereur.
« Je n’ai pas le droit de partir. À Marseille, les mamelouks du dépôt de la Garde ont été égorgés par les royalistes et leurs corps affreusement mutilés. Savez-vous qu’à Lyon les fédérés promènent mon buste en appelant la population aux massacres de septembre ? Et ce matin les avant-postes prussiens ont rejeté la proposition de suspension d’armes proposée par Davout... Je n’ai pas le droit de partir. La France a encore besoin de moi...
Et le lendemain appareillait au Havre le premier bateau pour l’Amérique qui pouvait prendre l’Empereur à son bord et lui assurer une traversée sans risques.
Journée du 24 JUIN
« La santé est indispensable à la guerre et rien ne peut la remplacer. »
N APOLÉON
L’Élysée est
Weitere Kostenlose Bücher