La nuit de l'ile d'Aix
mission ne devait pas obtenir l’assentiment et l’entière approbation de Votre Majesté, je me retirerais à l’instant même.
« Et le général ne put maîtriser son émotion, les larmes lui venaient aux yeux. Touché des marques d’une sympathie si profonde, l’Empereur s’empressa de lui adresser avec une extrême douceur des paroles bienveillantes. »
— Rassurez-vous, général, je suis bien aise de vous avoir près de moi ; si l’on m’avait laissé le choix d’un officier, je vous aurais désigné de préférence, puisque je connais depuis longtemps votre loyauté.
— Sire, j’ai fait venir à Rueil trois cents chasseurs et grenadiers pour renforcer la Garde de Votre Majesté.
— Je vous remercie. Allons faire un tour de parc voulez-vous ?
Et à peine à l’orée de l’allée, dans la lumière fruitée du soir de juin sous les cèdres, Napoléon prend Beker par le bras.
— Parlez-moi de Paris, que s’y passe-t-il, que dit-on ?
— Le peuple vous est toujours très attaché. La bourgeoisie incline pour vous car elle redoute le retour des Bourbons. Les corps d’armée qui rallient la capitale et qui campent sous ses murs n’attendent qu’un signe de vous. Si vous vous décidiez...
— Et les partis ? coupe l’Empereur.
— Ceux-là sont très partagés, et sur votre abdication et sur le couronnement du roi de Rome. Mais tout le monde pense que vous auriez dû rester avec vos soldats.
— Vous ne connaissez pas les ressorts et les dessous de cette grande affaire, Beker. J’ai été contrarié, trompé, abusé. En arrivant je n’ai pas voulu profiter de l’enthousiasme qui m’avait accueilli à mon retour de l’île d’Elbe pour nationaliser la guerre car j’ai toujours eu la guerre civile en horreur.
Ils marchèrent quelques pas en silence.
— Votre Majesté, reprit Beker, aurait singulièrement embarrassé son beau-père l’empereur d’Autriche si, en faisant abnégation d’elle-même pour sauver nos institutions, elle se fut mise à sa discrétion.
— L’Autriche ? Jamais. Ils m’ont touché au cœur en gardant ma femme et mon fils.
L’Empereur effleura familièrement la joue du général :
— Vous ne connaissez pas ces gens-là... J’ai demandé deux frégates avec des passeports pour me rendre aux États-Unis. Encore faut-il que je puisse y arriver sans tomber au pouvoir de mes ennemis. Si on accède à ma demande, je renoncerai aux affaires publiques et je partirai immédiatement pour cette destination.
Mais si on diffère l’arrivée de mes passeports j’irai m’adresser aux Chambres, j’irai attendre au milieu d’elles le déroulement des événements, et je leur laisserai le soin de me livrer à mes ennemis.
Lucien, Joseph et Jérôme tenaient conseil dans le salon avec une dizaine d’officiers pour examiner les moyens de protéger Malmaison contre les attaques des royalistes. La première mesure fut l’organisation d’un tour de garde permanent autour de la maison. Ils décidèrent de se relayer la nuit même.
M. Laffïtte arrivait dans son tilbury. Le banquier républicain répondait à l’appel de l’Empereur.
— J’ai besoin de vous, Laffitte. Merci d’être venu. Vous savez que je pars en Amérique.
— Je n’aime pas les Américains, dit Laffitte, ils sont puritains et mercantiles, ennuyeux et toujours à l’affût du profit.
— Vous êtes injuste. J’aurai au moins une sympathie en commun avec eux, dit Napoléon.
— Laquelle ?
— Notre haine contre les Anglais.
— Vous allez en Amérique. Et si après avoir été Empereur des Français vous deveniez empereur au Mexique ?
— Je me prépare, dit en souriant l’Empereur... Et il lui montra le livre de Humboldt ouvert à la carte d’Amérique centrale où il a colorié l’isthme de Panama.
Dans la bibliothèque Pérusse a relayé Laffitte.
— Combien ai-je ramené de l’île d’Elbe ?
— Un million sept cent trente-quatre mille francs.
— Mais on me doit six millions sur ma liste civile. Vous êtes encore maître des caves des Tuileries ?
— Tant que les bataillons de la Garde y restent et que Drouot les commandera nous en serons maîtres.
— Ce soir vous ferez prendre trois millions dans les caves des Tuileries et vous les ferez porter à M. Laffitte avec mon grand médaillier.
— J’irai aux Tuileries en quittant Malmaison.
— Vous allez m’établir les
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