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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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émergeaient sur le terreplein. Comme s’il avait pressenti que ces naissantes colonnes de pierre, pétries de lumière blanche et de souvenirs épiques, allaient devenir la statue votive de l’Empire. Qu’elles seraient ses propres Pyramides d’où les siècles de sa gloire allaient contempler les pèlerins accourus des quatre coins du monde.
    À Chaillot il changea de voiture et reprit son carrosse qui fila vers la Seine à travers les allées du bois de Boulogne.
    C’était ce même chemin, qu’il avait si souvent suivi autrefois, aux jours riants du Consulat. Joséphine jacassait, l’étourdissait, lui plantait des baisers furtifs, et lui ne voyait couler ni le temps ni le fleuve.
    Aujourd’hui, dans ce tête-à-tête mélancolique avec Gourgaud, le trajet lui semblait interminable. Il avait pour la première fois depuis de longues années le sentiment d’avancer en aveugle sur une route inconnue.
    Hortense l’avait précédé à la Malmaison, elle avait ouvert les portes, aéré les chambres, piqué dans les vases de Joséphine les premières roses et les derniers lilas.
    Arrivé sur le perron, l’Empereur se retourna, son visage avait perdu cette sérénité de façade qu’il opposait à l’adversité. Le voilà confronté avec le jardin de sa jeunesse et le décor de l’idylle.
    —  Que c’est beau ! dit-il d’une voix mouillée.
    Hortense était accourue au-devant de lui. Et elle dit avec un sourire triste   :
    —  Sire, votre maison vous attend.
    Elle s’efface pour lui laisser le passage. Il la prend par le bras et entre avec elle dans le vestibule.
    La veille, quand elle avait communiqué sa décision à son entourage, elle s’était heurtée à une levée de boucliers. Ses amis l’avaient harcelée toute la soirée. « Êtes-vous folle   ? Vous établir à la Malmaison avec Napoléon ! Avez-vous oublié ces atroces ragots d’autrefois sur vos relations avec lui   ? Vous allez encore prêter à des bruits infâmes et vous faire des ennemis... »
    Hortense s’était cabrée   : « Je n’abandonnerai pas celui que j’ai appelé mon père. Il ne m’importe guère d’être bien avec les autres si je ne suis pas bien avec moi. »
    —  J’ai fait préparer le second étage pour votre suite et les chambres du haut pour les serviteurs. Je me suis réservé les salons de ma mère...
    Il ne l’écoutait déjà plus.
    —  Hortense, j’ai acheté ce château le 7 floréal an VII. C’était hier. Je me souviens du ciel d’avril, des jardins mouillés, des cloches de Rueil, de la voiture aux portières armoriées. Le vieux notaire m’expliquait que Malmaison tirait son nom de son passé de maison maudite. C’était une ancienne maladrerie du XIII e siècle qui dépendait de l’abbaye de Saint-Denis. C’est sous Louis XIII qu’un gentilhomme amoureux a fait édifier le château sur l’emplacement de la léproserie abandonnée. Quand nous l’avons acheté, Joséphine m’a fait remarquer dès notre première visite les lignes et les signes des ravages de l’âge. Faîtages affaissés, rouille des fers forgés, lèpres végétales sur les toits et les murs. Alors, j’ai fait venir Fontaine et Percier et je l’ai fait restaurer. C’est Joséphine qui a fait peindre des danseuses sur le stuc. Ah, le salon, c’est encore Joséphine qui a exécuté les motifs de la tapisserie. C’était, je crois bien, au printemps de 1800, l’année du Consulat. Voilà ce bric-à-brac de musée dont elle raffolait   : porcelaines de Saxe, bronzes précieux, pendules en or et en lapis. Celle-ci est en agate... Elle n’a jamais marché.
    Il s’arrêta brusquement, comme s’il avait voulu retarder lui aussi la marche du temps.
    —  ... Ah, la mosaïque de Bologne, si elle pouvait parler... Eh bien, Hortense, je vous rends à vos devoirs de maîtresse de maison. Moi, je vais vagabonder dans mes souvenirs... Ah, je dînerai à six heures. Seul...
    Il sort à gauche de la cheminée, aborde le petit pont, franchit le saut-de-loup qui borde la Malmaison à l’ouest. Le pont débouche sur le jardin aux parterres en étoile, ceinturé par quatre allées de tilleuls. Il s’arrête entre les deux obélisques en marbre rouge de Givet.
    —  Je les ai fait ériger par Lenoir en 1807. Après Iéna...
    Il retrouve des voix et des odeurs entre les hêtres pourpres et les sapins bleus. « Rien n’a bougé. Rien n’a changé. Et tout est rongé. Les bancs par les pluies, les allées par

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