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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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la naissance du jour, puis il est rentré dans sa chambre et s’est plongé dans Humboldt.
    Les grelots d’une calèche ont interrompu sa lecture. Il a écarté le rideau, et brusquement son cœur a battu la chamade. La voiture était arrêtée à l’angle du parc et il voyait de profil une longue dame en capeline qui attirait un enfant dans ses bras et qui le déposait devant le marchepied. Il a été submergé un bref instant par la marée du miracle... Marie-Louise accourait vers lui à l’heure du danger avec le roi de Rome... Puis la dame s’est retournée, a pris la main de l’enfant et ils sont remontés vers le perron. Il a reconnu Marie Walewska. Il a laissé retomber le rideau, abaissé ses paupières sur le songe évanoui, et il s’est habillé, lentement. En colonel de la Garde. Le même uniforme que le jour où Marie avait débarqué à l’île d’Elbe avec le petit Alexandre. Un an déjà...
    Elle se jeta dans ses bras en sanglotant, puis, se maîtrisant, elle saisit l’enfant et le lui tendit dans un geste théâtral. Elle savait que ce n’était plus comme l’île d’Elbe, une escale de la Terre promise, mais le port d’un adieu sans retour.
    Il embrassa distraitement la petite tête blonde, caressa les anglaises dorées, chatouilla l’oreille de son fils. Sa pensée s’envolait très loin au-delà du parc, franchissait les plaines, les fleuves et les montagnes, Malmaison devenait Schönbrunn, et c’étaient les boucles du roi de Rome qu’il baisait sur la tête d’Alexandre.
    Flahaut arrivait par la grande allée en remorquant Mme Duchâtel. Elle aussi avait tenu un rôle tenace et vivace dans les secrètes tendresses de Napoléon.
    Mme Duchâtel ressemblait à un pastel anglais, des cils de velours, des yeux de biche, une bouche gourmande... elle restait blême, muette, ses mains pensives s’étaient jointes comme pour une dernière prière. L’Empereur prit ces mains et les porta à ses lèvres puis l’embrassa sur les cheveux. Il fit quelques pas avec elle, puis revint vers le perron. Il n’avait pas le cœur de prolonger ces épanchements devant Bertrand, Flahaut, Gourgaud, Montaran et Mme Duchâtel et Marie Walewska n’étaient plus que les spectres gracieux des amours mortes.
    Désireux de rompre avec les larmes, les adieux et les effusions, il prend le bras d’Hortense, disparaît derrière les tilleuls, se plante devant les clématites. Et comme pour éviter de s’attendrir il se lance dans une digression d’églogue.
    —  Voyez-vous, Hortense, pour un jeune homme, les fleurs ne sont qu’un décor saisonnier. Il est tellement riche de secrètes floraisons qu’il n’a pas un regard pour les anémones et les mélilots. Ses rêves sont tournés vers d’autres corolles et d’autres parfums. Au fur et à mesure que les années passent et que ses propres sèves s’amaigrissent, il commence à regarder les églantiers et à respirer les lilas. Et en vieillissant s’opère une sorte de transfert de ces floraisons intérieures vers les jardins du dehors. Et le vieil homme se prend d’amour pour ses jasmins et ses véroniques. Ce qui explique la passion des invalides pour les bégonias et les résédas. En pots... Pendant très longtemps les fleurs n’ont été pour moi que parures et cadeaux. Elles étaient incarnées par Joséphine. Depuis, à l’île d’Elbe, j’ai appris à les regarder, à les distinguer, à les respirer. Vous verrez que je finirai par tailler mes rosiers...
    Alerte, un coup de feu retentit dans le parc.
    —  Qu’est-ce que c’est   ?
    —  Fermez les portes, doublez La Garde. Aux armes...
    On court, on fouille les buissons, le parc. Les sentinelles n’ont rien remarqué.
    —  Sire, vous avez entendu   ?
    —  Quoi   ? dit Napoléon émergeant de ses floralies.
    —  Le coup de feu.
    —  Mais quel coup de feu   ? Ça tourne à l’obsession.
    —  Non, sire, dit Savary. Ça n’a rien d’étonnant, un homme est venu me prévenir d’un complot fomenté par cinq cents royalistes pour vous assassiner cette nuit. Et ma femme a rencontré à trois cents mètres d’ici une escouade de cavaliers, tous armés, tous royalistes furieux. Elle y a même reconnu un de ses cousins.
    —  Sire, il y a un jeune homme qui demande à vous voir.
    —  Encore   ? Je ne serai jamais tranquille. Qu’est-ce qu’il veut   ?
    Il était debout devant sa table, où il avait déployé deux grandes cartes   : une carte d’Amérique où il

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