La nuit de l'ile d'Aix
formalités nécessaires à la vente d’une inscription nominative en cinq pour cent, représentant un capital de cent quatre-vingts mille trois cent trente francs. C’est l’argent que je compte emporter sur moi pendant le voyage. Laffitte a reçu des ordres pour me faire passer six millions en Amérique dès mon arrivée.
Alors se déroule cette scène qui va le marquer au fer.
— Vendez mon inscription de rente et remettez-m’en la valeur.
Pérusse lui tend la procuration : « Par-devant nous fut présent Napoléon Bonaparte. » C’est la première fois depuis si longtemps qu’un acte officiel escamote ses titres. Le Code civil ignore la puissance et la gloire.
L’Empereur s’assied et signe d’un paraphe rageur : Napoléon.
Pérusse examine le document et le lui rend en balbutiant.
— Je m’excuse, sire, la procuration est sans valeur.
— Pourquoi ?
— Il faut signer de votre nom de famille.
Et pour la première fois depuis vingt ans apparaît la signature de l’armée d’Italie : Bonaparte.
À la même heure, le baron de Bonnefous, préfet maritime de Rochefort reçoit une lettre de M. le duc Decrès, ministre de la Marine, datée du 23 juin. Elle lui révèle à la fois l’abdication de l’Empereur et le pouvoir dont est investie la Commission.
« De grands événements ont eu lieu qui ont amené un grand sacrifice de la part de Napoléon. Vous verrez dans Le Moniteur ce qui s’est passé. La confiance nationale repose sur les deux Chambres. Elles ont nommé une Commission de gouvernement pour exercer le pouvoir exécutif... Je connais trop vos sentiments pour penser que j’aie des exhortations à vous faire. Redoublons donc de zèle et de courage ; préparons-nous à des combats pour obtenir la paix qui convient à une nation déterminée à conserver, à quelque prix que ce soit, son indépendance, la paix dont l’ajournement ne peut guère être prolongé s’il est vrai, comme on doit le croire d’après ses déclarations formelles, que l’étranger n’en voulait qu’à Napoléon. Attachez-vous à comprimer les ennemis extérieurs, s’il y en avait... Et ceux-là le seraient qui ne se conformeraient pas avec empressement à la volonté du peuple fran çais, manifestée par l’organe du gouvernement nommé par les Chambres. »
Tandis que M. de Bonnefous relit avec une extrême attention les dernières lignes, et s’efforce de déchiffrer les menaces voilées de la conclusion, sur la table d’un hôtel de Cambrai, Louis XVIII rédige sa première proclamation au peuple de France. Elle est aussi lourde de menaces pour tous ceux qui ne « se conformeraient pas avec empressement ».
« Dès l’époque où la plus criminelle des entreprises, secondée par la plus inconcevable défection, nous a contraints de quitter momentanément notre royaume, nous vous avons averti des dangers qui vous menaçaient si vous ne vous hâtiez de secouer le joug du tyran usurpateur.
« Nous n’avons pas voulu unir nos bras, ni ceux de notre famille aux instruments dont la Providence s’est servie pour punir la trahison. Mais aujourd’hui que les puissants efforts de nos alliés ont dissipé les satellites du tyran, nous nous hâtons de rentrer dans nos Etats pour y établir la Constitution que nous avons donnée à la France, réparer, par tous les moyens qui sont en notre pouvoir, les maux de la révolte, et de la guerre qui en a été la suite nécessaire ; récompenser les bons, mettre à exécution les lois existantes contre les coupables ; enfin pour appeler autour de notre trône paternel l’immense majorité des Français, dont la fidélité, le courage et le dévouement ont porté de si douces consolations dans notre cœur. »
Comme s’il avait perçu à distance le message insultant de son successeur, Napoléon s’enferme dans la bibliothèque et adresse une dernière proclamation à son armée.
« Soldats, quand je cède à la nécessité qui me force à m’éloigner de la brave armée française, j’emporte avec moi l’heureuse certitude qu’elle justifiera, par les services éminents que la Patrie attend d’elle, les éloges que nos ennemis eux-mêmes ne peuvent pas lui refuser. Que vos succès futurs leur apprennent que c’était la Patrie par-dessus tout que vous serviez en m’obéissant, et que, si j’ai quelque part à votre affection, je le dois à mon ardent amour pour la France, notre mère commune.
« Soldats,
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