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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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au voyageur et c’est en s’agrippant aux rochers, en glissant sur les bretèches baveuses qu’il a rejoint l’homme au fanal. Alors la jeune femme est venue se blottir dans ses bras en sanglotant. Comme aujourd’hui.
    Il l’avait épousée le lendemain dans une chapelle désertée de la lande bretonne, une chapelle au transept écorché où l’harmonium de la messe nuptiale était relayé par les orgues du vent de mer.
    —  Vous avez risqué votre vie pour moi, avait dit Élisabeth.
    —  C’est parce qu’elle vous appartient pour toujours, avait répondu le chevalier de la nuit...
    —  Je vous déclare unis devant Dieu... par les liens du mariage..., avait déclaré le prêtre réfractaire... Unis devant Dieu, devant la mer, les étoiles et les cormorans.
    —  Mon Dieu, dit Las Cases, quinze ans déjà...
    Les ombres de la lande s’effacent, et les yeux purs d’Élisabeth couleur de chasselas doré ne reflètent plus qu’une immense détresse...
    Las Cases parle d’une voix solennelle et embarrassée   :
    «  — Chère amie, en m’abandonnant au devoir dont mon cœur se trouve plein, j’ai la consolation de ne pas heurter tes intérêts. Si Napoléon II doit gouverner, je te laisse de gros titres auprès de lui, si le ciel en décide autrement je t’aurai ménagé un asile généreux, un nom honoré de quelque estime. Dans tous les cas nous nous retrouverons ne fut-ce que dans un monde meilleur. »
    —  Jure-moi, jure-moi sur la tête d’Emmanuel que je pourrai vous rejoindre en Amérique.
    —  J’en fais le serment solennel, dit Las Cases, dès que nous serons installés, mon premier soin sera d’organiser votre voyage.
    —  Alors partez, mon ami, dit-elle, faites votre devoir comme vous l’avez toujours fait, je suis fière de vous, je serai toujours à vos côtés, je vivais jusque-là dans le bonheur du présent, désormais je vivrai dans l’espoir de l’avenir.
    Elle monte dans le tilbury, agite son mouchoir de batiste et sourit à travers ses larmes.
    —  Je viendrai vous voir demain matin.
    Napoléon qui suivait la scène depuis le perron avança et prit familièrement Las Cases par le bras.
    —  Alors   ? Comment a-t-elle réagi   ?
    —  Sire, dès que je lui ai appris qu’elle pourrait nous rejoindre en Amérique, j’ai trouvé en elle l’exaltation, le courage qu’il m’eût fallu si j’en eusse eu besoin 1  ».
    Mme de Montholon rejoint son mari à la Malmaison. On lui a préparé une petite chambre sous les toits. Elle y transporte les coussins de sa voiture dont elle va faire un lit pour son fils. La reine Hortense la serre sur son cœur. Elle lui confie   :
    —  Je ne comprends pas l’Empereur. Au lieu de décider quelque chose pour son départ, il lit un roman.
    —  Un roman   ? dit Mme de Montholon, et Hortense ajoute songeuse   : Quand il a l’esprit tendu par quelque contrainte c’est le moyen qu’il emploie au moral. Comme le bain au physique.
    Hortense lève les bras au ciel.
    —  Les Prussiens nous entourent, les ponts vont être abattus, le château peut être envahi, on nous a dit que nous pourrions être attaqués cette nuit... et l’Empereur ne sort pas de son « roman ».
    L’Empereur s’est enfoncé dans les forêts d’Amazonie et y cueille au passage les fruits qui l’émerveillent.
    « Dans l’état des sociétés naissantes, l’échange des idées précède jusqu’à un certain point l’échange des productions. »
    Ah ! Il a tout compris. En ces soirs où se jouent sa vie, son empire et sa liberté, Napoléon semble envoûté par Humboldt. Le livre que la reine Hortense surnomme avec un dédain amusé « son roman » le fortifie dans ses rêves d’explorateur.
    —  Ah   ! Monge, je suis content de vous voir. Mais quittez ce masque funèbre. Savez-vous que je vais changer de carrière ?
    —  De carrière, sire   ? balbutie Monge éberlué.
    —  Vous avez suivi mes traces en Égypte, je vais suivre les vôtres.
    —  Où donc, sire   ?
    —  En Amérique. J’ai décidé de me consacrer à de grands travaux scientifiques. Je m’initie à mon futur métier en annotant Humboldt. Le désœuvrement serait pour moi la plus cruelle des tortures. Désormais sans armée et sans empire, je ne vois que les sciences qui puissent s’imposer fortement à mon âme. Mais apprendre ce que les autres ont fait ne saurait me suffire. Je veux faire une nouvelle carrière, laisser des travaux, des

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