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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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avait tracé des cercles au crayon. Une carte de France piquée de petits drapeaux multicolores qui indiquaient la marche des armées en présence et dont il déplaçait les épingles selon les renseignements qui lui parvenaient.
    —  C’est un commandant de la Légion, il s’appelle Gabriel Delessert et il a un renseignement important à vous donner. Il dit que c’est urgent.
    —  Faites-le entrer.
    C’était un petit homme replet, sanguin, crépu, en uniforme de la garde nationale. Il s’était figé à l’entrée de la chambre   :
    —  Approchez, vous avez quelque chose d’urgent à me dire   ?
    —  Oui, sire, j’ai rencontré un aide de camp d’Exelmans qui revenait des avant-postes. Il y a des milliers de cavaliers prussiens sur la plaine. Ils font mouvement vers Saint-Germain, on dirait qu’ils veulent...
    Il s’arrêtait, surpris de son audace, il n’osait pas aller jusqu’au bout de sa pensée.
    —  Qu’est-ce qu’ils veulent   ?
    —  Couper votre retraite éventuelle. Ils progressent vers la Malmaison.
    —  Ah, je me suis laissé tourner. Très bien, je vais avertir Beker... À votre avis que représentent les corps d’armée prussiens qui encerclent Paris ?
    —  Trente mille hommes, sire.
    Napoléon quitta sa carte après avoir épinglé deux drapeaux, et se retourna vivement   :
    —  Trente mille hommes   ? Pauvre France   : être soumise à une poignée de Prussiens.
    —  Sire, les généraux Piré et Chabran demandent à être reçus.
    —  Demandez-leur ce qu’ils veulent.
    —  Ils disent que c’est urgent et grave.
    Napoléon reposa son livre, et avec un claquement du doigt qui annonçait son agacement   :
    —  Mais, qu’est-ce qu’ils veulent   ? Ils sont déjà venus deux fois. Dites-leur que je refuse de reprendre le combat.
    —  Ceux-là ne viennent pas pour se battre.
    —  Alors, pourquoi cette insistance   ?
    —  Ils disent qu’ils ne veulent pas partir sans vous avoir parlé et que si vous ne les recevez pas ils vont se brûler la cervelle sur le perron. Ils disent que le gouvernement provisoire est en train de vendre la France aux Bourbons, qu’ils sont tous les deux promis à l’échafaud et qu’ils voudraient fuir.
    —  Eh bien, qu’ils fuient, qu’est-ce qu’ils attendent   ?
    —  Un peu d’argent, sire. Ils n’ont pas les moyens de payer leur exil.
    —  Donnez-leur mille napoléons à chacun, mais qu’ils s’en aillent.
    M. de Cambacérès est venu présenter ses civilités. Napoléon qui a appris sans surprise son passage dans le camp de Fouché décide de s’amuser à ses dépens.
    —  On prétend que vous allez chaque soir aux Variétés. Montrez-moi donc un peu comment s’exécute ce fameux pas de danse, allez, amusez-vous, trémoussez-vous.
    —  Sire, je vous en prie...
    —  Allez.
    Et le prince archichancelier ébauche un entrechat à la grande joie de l’Empereur. Ce sera le ballet bleu des adieux.
    Les yeux de Paris en ce jour du 26 juin sont tournés vers les bosquets de la Malmaison. Et telle est la force du mythe que le peuple de Paris pense encore à une de ces sorties feintes où l’Empereur s’éloignait de l’ennemi pour le mieux surprendre.
    Dans les allées du parc, les grenadiers en loques croisent les chevaux de parade de M. de Montaran {33} , les cabriolets des dames et les calèches des ministres.
    Le tilbury de Mme de Las Cases s’arrête devant le perron. M. de Las Cases quitte Gourgaud et se précipite vers sa femme. En 1795 il était revenu d’Angleterre en Bretagne au risque de sa vie pour épouser Mlle de Kergariou Cœtilhau, sa petite cousine.
    Tandis qu’il la prend dans ses bras, elle lui tend un visage bouleversé, et elle pleure.
    —  Je n’ai jamais été aussi misérable de ma vie. Je n’aurais jamais pensé que vous feriez aussi peu de cas de cet amour que vous m’aviez juré...
    M. de Las Cases l’entraîne sous les tilleuls, à l’abri des regards, sèche ses pleurs et s’efforce de la consoler. Et dans les yeux d’Élisabeth, il voit tanguer un cotre sur les récifs, une lune sauvage verdit les brisants. Une jeune femme et un prêtre se tiennent enlacés sur le promontoire éclaboussé d’écume, où un vieil homme balance une lanterne d’écurie à la manière des naufrageurs. Quand ils ont accosté dans un fracas de fin du monde, la jeune femme a poussé un cri déchirant. Les courlis qui tournoyaient dans le vent du nord ont transmis son appel

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