La nuit de l'ile d'Aix
ne pars pas tout de suite. En attendant, tu vas inviter à dîner pour demain soir Paulette et son mari.
Un éclair de colère brillait dans ses yeux :
— Ça, jamais...
Je répétai posément :
— Demain tu inviteras à dîner Paulette et son mari.
— Mais pourquoi ?
— Parce que c’est à Leclerc que je veux confier le commandement du corps expéditionnaire. En contrôlant Haïti nous aménageons une plate-forme d’attaque contre le continent américain. Et comme je sais que tu détestes ma sœur, si j’envoie Leclerc à Haïti, tu seras débarrassée de Paulette.
Joséphine dansait de joie.
— Alors là, demain soir un grand dîner, général...
Il porta brusquement la main à son front :
— Qu’est-ce que j’ai, mais qu’est-ce que j’ai ? Il titubait.
— Sire, s’empressa Bertrand, ce n’est qu’un éblouissement, la fatigue, la tension nerveuse de ces derniers jours.
Il aida Napoléon à s’étendre sur le lit. Du palier il appela le mamelouk Ali qui attendait assis sur une marche de l’escalier.
— Montez vite, l’Empereur a un malaise.
Ali procéda au déshabillage avec des gestes lents et doux de sœur de charité. Bertrand ne pouvait détacher son regard des paupières closes sur le visage cireux.
— Laissez-moi, je veux dormir.
— Sire, je préférerais demeurer à votre chevet.
— Allez vous coucher, Bertrand, il se fait tard. Nous avons une route longue et semée d’embûches d’ici l’Amérique. Vous vous demandez sans doute pourquoi j’ai senti le besoin de vous parler de tout cela ?
— Sire, je suis un peu votre confident.
— Vous connaissez la légende qui veut qu’un homme qui se noie voie s’animer devant lui une sorte de kaléidoscope où défilent les scènes importantes de sa vie embaumées dans sa mémoire. Eh bien, vous le voyez, mes souvenirs m’assaillent et me labourent... Bonne nuit, monsieur le grand maréchal.
De retour dans le grand salon du château, Bertrand trouva Beker, Gourgaud et Rovigo somnolant sur les bergères devant un feu mourant. Savary ouvrit un œil :
— Sa Majesté s’est endormie ?
— Je ne sais pas, dit Bertrand. Il m’a parlé longuement.
— De quoi ?
— De l’Amérique.
— Nous partons de bonne heure demain matin ?
— Je ne sais pas.
— Mais qu’est-ce que l’Empereur attend ?
— Ce n’est pas ce qu’il attend, c’est ce qu’il espère.
— Mais que peut-il donc espérer ?
— Un miracle, il y est abonné depuis si longtemps.
Journée du 30 JUIN
« La légende napoléonienne est comme la révélation de saint Jean, chacun sait qu’il s’y cache encore autre chose. »
G ŒTHE
La reine Hortense qui a réintégré son hôtel de la rue Cerutti reçoit la visite d’un officier de la vieille Garde.
— Madame, je suis le colonel Courtois, mon nom ne vous dira sans doute rien, j’ai été député à la Convention. Je suis l’émissaire d’un groupe de cinquante officiers français. Nous avons établi notre quartier général dans un faubourg de Paris.
— Et que comptez-vous faire ?
— Enlever les membres du gouvernement provisoire et replacer l’Empereur à la tête de l’armée. Est-il vrai qu’il ait quitté Malmaison ? J’ai peine à y croire.
— Je l’ai embrassé et je l’ai vu monter dans la voiture, c’était hier à 5 heures. Maintenant il est loin, très loin. Mais vous avez réellement décidé d’enlever les membres du gouvernement provisoire ?
— Oui, madame. Et notre premier soin sera de faire pendre Fouché.
— Mon Dieu ! Mais pour quel motif ?
— Pour haute et basse trahison.
— Ne faites pas cela, je vous en conjure, il a aidé le départ de l’Empereur.
— Vous voulez dire qu’il l’a poussé.
— Jamais il ne trahira la France.
— Il a toujours trahi, c’est sa nature.
— Mais Caulaincourt est un honnête homme !
— À moitié, sinon il ne suivrait pas Fouché. Par ailleurs nous avons entendu parler à la Chambre d’un projet de régence du prince Eugène ?
Hortense se leva frémissante :
— Soyez assuré que ce ne sont là que méchantes rumeurs. Mon frère n’a jamais rien demandé pour lui. Il est décidé à soutenir par tous les moyens en son pouvoir l’intronisation du roi de Rome.
— Comment le savez-vous ?
— Il me l’a dit lui-même cette nuit.
L’officier salua et
Weitere Kostenlose Bücher