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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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mer est mon alliée. C’est à Toulon que j’ai commencé ma carrière. À Ollioules que j’ai rassemblé l’armée d’Italie.
    —  C’est la Méditerranée qui est votre alliée, rectifia Bertrand.
    —  Eh bien, dit Napoléon, nous signerons un pacte avec l’Océan.
    —  Qu’est-ce que vous ferez en Amérique   ?
    —  Je n’aurai que l’embarras du choix. D’abord vérifier les expériences d’Humboldt et puis aider les Américains à devenir ce qu’ils sont potentiellement   : un grand pays. La plus grande puissance du monde peut-être.
    —  Mais ils n’ont pas cinq millions d’habitants. Et ils sont à la merci des Anglais   !
    —  Écoutez-moi, Bertrand, le système colonial que nous avons connu est fini pour toujours. Il faudra que l’Angleterre qui l’incarne encore aujourd’hui imagine une espèce d’émancipation de ses colonies en sauvegardant des liens nouveaux encore plus avantageux, alors que la plupart des liens anciens lui échapperont avec le temps. L’Amérique, avec ses lois de liberté, l’immensité de ses terres, les fabuleuses réserves de ses ressources, est assurée de possibilités illimitées de prospérité et d’expansion. Et pensez à l’ascendant irrésistible des idées libérales. Voilà pourquoi je vais aider l’Amérique à se débarrasser de la tutelle anglaise. Savez-vous qui m’a enseigné ces vérités premières   ?
    —  Jean-Jacques Rousseau   ?
    —  Non, un Anglais. Un Anglais qui avait rejoint les milices de Washington par amour de la liberté. Il s’appelait Thomas Paine. Son premier livre était un brûlot   : The Common Sense. Pour la première fois dans l’histoire de l’Empire britannique, un sujet de Sa Gracieuse Majesté demandait l’abolition de l’esclavage, et la publication des journaux républicains. À Paris il avait été élu de trois départements sans être candidat.
    « Comme il avait refusé de voter la mort du roi, et sollicité l’envoi de Louis XVI en Amérique, il a été emprisonné et, sur la route de sa prison, il a demandé à ses gardiens de déposer ses papiers chez Barlow. C’est Barlow qui m’a fait lire des extraits de son manuscrit. J’ai été si fort impressionné par cette écriture de soufre et de vitriol, qu’à mon retour d’Italie, ma première visite a été pour Thomas Paine.
    « Il habitait une petite chambre sous les combles derrière le Luxembourg. J’ai frappé longtemps, longtemps... à la porte de la mansarde. Il est venu ouvrir. C’était un petit homme chafouin aux yeux de braise. Il avait une vieille robe de chambre zébrée de plumes essuyées, un bonnet phrygien sur la tête, un feuillet à la main. Il m’a considéré un instant avec méfiance puis il a crié   :
    —  Vous êtes le général Bonaparte, entrez...Entrez, c’est un grand honneur pour moi...
    Je me suis excusé de l’heure tardive et j’ai pénétré dans son repaire. Un chandelier de cuivre fumait parmi les papiers éparpillés sur une longue table de noyer. Il répétait   :
    —  C’est un grand honneur pour moi que d’accueillir le sauveur de la patrie.
    Je lui dis   :
    —  Citoyen Thomas Paine, je vous dois beaucoup. J’ai dévoré votre livre Les Droits de l’homme qui est l’ouvrage le plus important de notre temps. Depuis mon retour il est devenu mon livre de chevet. Il faut le faire connaître à tous les Français.
    Il bégayait comme chaque fois qu’il était ému.
    —  Je n’ai fait que condenser les idées et les dogmes de la Révolution.
    Je suis revenu le voir chaque semaine pendant des mois. À mon retour d’Égypte j’ai retrouvé un homme aigri. La paix était devenue son évangile. Il me reprochait la guerre, les victoires...
    « Quand j’ai été proclamé Premier Consul, il a refusé de me revoir, puis il est reparti pour l’Amérique et là il n’a pas cessé de m’attaquer, enfin d’attaquer la France...
    —  Qu’est-il devenu   ?
    —  Il est mort obscur à Baltimore, il y a trois ans. C’était une sorte de Rousseau américain. Un Rousseau de l’insurrection permanente.
    Alerte. Hébert avertit de l’arrivée d’un carrosse dans la cour. Beker se précipite, Napoléon se penche à la fenêtre.
    Enfin, voilà le courrier du gouvernement qui le rappelle à Paris.
    Une grande femme en robe de gala lamée d’or, la nacelle de ses cheveux roux piquée de joyaux scintillants, la gorge exubérante et les mains constellées de diamants

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