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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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disparut.
    Elle ne devait jamais le revoir, le complot des colonels allait être éventé par les mouchards de Fouché.
    L’Empereur contrairement à son habitude s’est attardé dans sa chambre. À 9 heures, Mme Hébert lui a monté un bouillon de légumes.
    —  Je me sens mieux ce matin.
    Ali l’a habillé, et il va rôder – en pantoufles et robe de chambre – entre le lit et la fenêtre tout au long de la matinée. Il ne pouvait pas se résigner à partir, il espérait toujours voir surgir entre les arceaux des allées et les moires ridées des bassins le cavalier du destin. De guerre lasse il donna l’ordre d’atteler.
    Il était 11 heures du matin. Les voyageurs reprenaient leur place à l’intérieur de la calèche et, à la surprise de ses compagnons, l’Empereur étala sur ses genoux sa carte d’Amérique et s’y absorba longtemps.
    Au cours du voyage les compagnons de Napoléon auront le loisir d’observer deux traits complémentaires de son comportement, le rêve et la confidence, le silence et la logorrhée.
    Un silence compact, nourri d’idées bouillonnantes dont les mouvements des lèvres, les plissements du front trahissent les frémissements et les cascades. Par intervalles, ce silence est rompu par une marée de pensées, de projets, de souvenirs.
    Beker et Savary vont bientôt remarquer que « lorsqu’il s’apprête à se lancer dans une dissertation, ou à ouvrir les vannes de sa mémoire, son discours est annoncé par une sorte de tic qui consiste en un mouvement du bras qu’il tirait en tordant la main {52}   ».
    La calèche courait entre les haies vives, poudrées des pollens gris de la longue route. À deux reprises, les côtes se révélèrent si abruptes que le postillon demanda aux voyageurs d’alléger la charge.
    Et tandis que Napoléon continuait d’examiner les reliefs des Rocheuses et les criques de Floride, Beker, Bertrand et Rovigo suivaient à pied derrière la voiture, comme les voyageurs de la fable.
    Les chevaux s’étaient arrêtés à l’ombre d’un bouquet de hêtres aux aisselles velues où s’accrochaient des nids de pie embrouillés comme des sexes. Les trois hommes s’essoufflaient entre les buissons de ronciers crêtés d’églantines roses, se hissaient jusqu’au promontoire de verdure d’où émergeaient les ruines d’un donjon dont le lierre attachait les murs aux années. Et on dévalait vers la plaine où l’Empereur s’absorbait dans la contemplation des flottilles dorées des meules de méteil ancrées sur la mer étale des pacages.
    —  Le soleil a une imagination de chercheur d’or, dit Napoléon qui gardait un pied en Amérique.
    Il continuait de s’éventer.
    —  On étouffe, on se croirait déjà en Louisiane... Humboldt m’a fait découvrir des merveilles insoupçonnées sur le continent américain. C’est une planète encore vierge, imaginez des forêts...
    Savary congestionné, face de courge violette et langue d’amidon, oubliant l’étiquette, le coupait sans ménagement à l’orée d’un hameau   :
    —  Oh ! des cerises...
    —  Vous en voulez   ? dit Napoléon, eh bien, faites arrêter la voiture. Ali, tu vas négocier les cerises avec la métayère...
    Ali revenait avec une grande corbeille d’osier tressé emplie de bigarreaux écarlates.
    —  Des cerises « Napoléon   », souriait Bertrand.
    Ils picoraient le cageot comme des merles de l’aurore et retrouvaient les gestes de l’enfance, projetant par la portière les noyaux pressés entre le pouce et l’index.
    Les quatre-vingts lieues qui séparent Rambouillet de Poitiers furent menées grand train à travers les infinis monotones de la Beauce. La glèbe noircie du calcin des chaumes était creusée de coupe-feux qui cernaient des îlots de pelade cendreuse entre les blés. Des cris de lumière rompaient le silence de cette terre chauve qui semblait pétrie de l’eau sèche et du feu dur des anciens alchimistes.
    Ils somnolaient tous les quatre, d’un faux sommeil, accablés par cet air moite chargé de braises et de parfums d’incendie. Les arbres maigres, rôtis sous le soleil, ployant leurs feuilles altérées, l’absence de vent et d’oiseaux, le nuage grondant de milliers de taons à la tête des chevaux, tout s’accordait à donner à ce voyage étouffant les soifs et les silences, les couleurs et les douleurs de la traversée du désert.
    —  Cessez de gémir, dit Napoléon au duc de Rovigo qui ahanait, cramoisi,

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