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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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l’Espagne.
    L’Empereur semble sensible à cette marque de fidélité. Il examine en silence la cheminée de marbre rose, l’armoire en marqueterie, le baldaquin aux courtines de velours à glands de pourpre. Et à brûle-pourpoint   :
    —  Je crois savoir que cette chambre a été occupée par le duc d’Angoulême, il y a six mois, et que pour vous récompenser le duc vous a remis la croix de Saint Louis.
    Bonnefous s’empourpra   :
    —  Sire, un préfet n’a guère le choix quand...
    —  Je sais, coupa Napoléon, de toute façon, il n’est pas dans mon intention de m’attarder à Rochefort. Est-ce que les frégates sont en ordre de marche ?
    —  Oui, sire, la Saale est une de nos meilleures unités.
    —  Je connais le capitaine Philibert, il s’est couvert de gloire à Trafalgar. Et le commandant de la Méduse c’est le capitaine Ponée   ?
    —  Oui, sire, trente ans de service, un courage et une fidélité à toute épreuve. Je les ai convoqués tous les deux.
    —  Et en face   ?
    Bonnefous balbutie   :
    —  Les renseignements des sémaphores sont contradictoires, on parle de quatre vaisseaux, je vous donnerai des précisions ce soir.
    —  Avez-vous reçu les sauf-conduits anglais   ?
    —  Non, sire, nous les attendons.
    —  Eh bien, moi, je n’ai pas envie d’attendre. Est-ce que les frégates peuvent forcer le pertuis d’Antioche ?
    —  Sire, voilà le capitaine Philibert et le capitaine Ponee, permettez-moi de vous les présenter...
    Philibert tout en long, tout en os, tout en poil, tout en glace. Des méplats en saillie, un nez en étrave, une chevelure de Canaque que prolongeaient des favoris frisés jusqu’au menton. Un sourire boréal. Froid, anguleux, guindé.
    —  C’est vous qui avez repris l’Algésiras aux Anglais à Trafalgar   ?
    —  Oui, sire.
    —  Eh bien, aujourd’hui, il s’agit plus simplement de prendre le large. Et à leur barbe.
    —  Je sais, sire.
    —  Alors j’ai décidé de ne pas attendre les sauf-conduits. Bonnefous, prenez vos dispositions pour faire porter nos bagages à bord de la Saale.
    —  Sire, dit Philibert, les deux frégates sont à votre disposition. Elles partiront quand Votre Majesté l’ordonnera. Elles feront tout pour éviter la croisière anglaise.
    —  Mais l’escadre anglaise bloque les trois pertuis, soupirait Bonnefous.
    Grand, massif, les pommettes tannées de vent, de vin et de soleil, des yeux de métal jaune, la sclérotique striée, les sourcils en taillis, une démarche de corsaire en bordée, le capitaine Ponée s’inclinait devant l’Empereur.
    —  Si nos frégates sont attaquées, elles se feront couler plutôt que de cesser le feu avant que Votre Majesté l’ait ordonné. Mon équipage et moi-même sommes entièrement dévoués à Votre Majesté. Le Bellerophon relève plutôt des invalides de guerre que d’un aigle des mers. Il a déjà amené son pavillon à Aboukir où il a été meurtri et démâté, il est poussif et asthmatique, il est cousu de cicatrices. Sa marche est médiocre, sa faculté évolutive au-dessous de la moyenne. Si nous l’attaquons avec Philibert, il terminera sa carrière dans la rade des Basques. Qu’en penses-tu   ?
    Le capitaine Philibert hocha la tête sans répondre. Ponée poursuivait sur sa lancée   :
    —  Sire, la Saale et la Méduse sont les meilleures frégates de la flotte, ce sont de jeunes navires, quatre ans de navigation, 40 canons portant du 24 en batterie et des canons de 36 sur la passerelle. La Bayadère a 30 canons, mais on peut compter aussi sur l’Épervier de Jourdan qui a 10 canons. Pensez que la Méduse file ses dix nœuds et que le Bellerophon s’essouffle à sept... Nous aurons vite fait de l’envoyer par le fond.
    —  Rien de moins sûr, réplique Philibert de sa voix glacée. Et il faudrait compter au moins cent morts...
    M. de Bonnefous se hâta d’intervenir.
    —  Nous n’en sommes pas là. Je crois qu’il est plus rationnel de déjouer sa surveillance que de le prendre à l’abordage.
    L’Empereur fit diversion.
    —  Vous avez des nouvelles de Paris, monsieur le préfet   ?
    —  C’est le général Beker qui en a reçu. Moi, je me suis contenté d’adresser à M. Decrès la note des mouvements effectués par les navires britanniques et relevés par les signaux sémaphoriques.
    —  Bonnefous, je me méfie des sémaphores.
    —  Mais pourquoi, sire   ?
    —  Une intuition. Je crois qu’ils

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