La nuit de l'ile d'Aix
patrie. »
À la préfecture les délégations se relayaient, les colonels, les notables, les émissaires des garnisons... Et tous suppliaient l’Empereur de rester, de faire confiance au peuple et à l’armée. Et les cloches continuaient de sonner leur carillon du dimanche, et la foule était si épaisse, si agglomérée que personne – ni homme, ni cheval, ni voiture – ne pouvait circuler sur la Brèche et dans les avenues submergées par l’écho sonore de cette grande marée aux crêtes mouvantes.
La musique des régiments jouait sur la place, la foule reprenait au refrain : « Veillons au salut de l’Empire. »
Le courrier de Beker avançait péniblement à contre-courant.
Napoléon avait demandé au préfet qu’on lui épargnât les honneurs et dans la mesure du possible les manifestations. Et comme la foule réclamait à grands cris sa venue au balcon, il envoya Bertrand apaiser les clameurs, remercier les populations et les informer que l’Empereur fatigué ne se manifesterait pas en public de la journée. Mais des milliers d’hommes et de femmes s’étaient enracinés sur le pavé, leurs cris, leurs chants et leurs clameurs continuaient de peupler la nuit tiède et la ville en fête.
À 3 heures du matin l’Empereur descendit les marches du perron de la préfecture... Il prit la main de M. Busche et la pressa affectueusement. Le peuple campait depuis quinze heures sur la place de la Brèche, des centaines de fanatiques étaient couchés par terre à même le pavé. Un cri parcourut cette foule : « L’Empereur s’en va... L’Empereur s’en va... » Tout ce monde se releva et multiplia ses suppliques.
— Sire, on vous en supplie, restez avec nous, restez avec nous...
Napoléon remercia du bras et fit signe au postillon.
— Rochefort.
La garnison insistait pour l’accompagner jusqu’à la côte. Il autorisa seulement le colonel à lui fournir une escorte. Et un piquet de cavalerie qui devait lui frayer la route de la mer.
Journée du 3 JUILLET
« Être inaccessible. Abrégé du monde. Dans tout le temps qui l’illumine, l’esprit ne s’est pas arrêté un instant. »
G ŒTHE
Un piquet du 20 e Hussards, sabre au clair, escortait l’équipage de l’Empereur.
Dès que le jour fut levé, Napoléon fit arrêter la calèche pour faire admirer à ses compagnons de voyage les vastes travaux de comblement des anciens marais qu’il avait lui-même ordonnés. L’odeur sucrée des fenaisons montait des éteules cendrées, alignées à l’infini sur les herbages poreux de l’Aunis.
— Regardez, on dirait les tentes d’une armée endormie. Avez-vous pensé qu’il y a dix ans ces prairies n’étaient que miasmes et tourbes ?
Tout au long du parcours les villageois des Charentes se pressaient sur son passage, l’acclamaient, criaient leur confiance et leur amour. Des carrioles de paysans s’arrêtaient. D’abord méfiants, puis médusés, puis délirants. Un patriarche tombait à genoux. Des hommes retiraient leur béret, des femmes se signaient.
— Vous voyez, partout où je passe, je reçois les bénédictions d’un peuple reconnaissant, et pourtant que savent-ils de tout ce que j’ai fait dans la paix ? Bien peu...
À Maugé, à Surgères, dans les villages aux ruelles étroites et aux maisons basses, c’était partout le même enthousiasme. À Muron, deux grenadiers de la vieille Garde, Breuil et Bonnessée, au garde-à-vous, saluent l’Empereur. Il était 9 heures lorsque la calèche entra dans la ville par la porte de Tonnay-Charente et roula jusqu’au port. L’Empereur fit arrêter l’équipage et se planta devant les flots. Il s’absorba quelques instants dans les mouvements de la marée. Il se retourna :
— À la préfecture, dit-il.
Gourgaud l’avait précédé et descendait à sa rencontre avec M. de Bonnefous qui se répandait en excuses et en formules de déférence.
— Je suis bien aise de vous voir sur pied, monsieur le préfet.
— Sire, pour vous remettre un courrier je pouvais déléguer un capitaine de vaisseau, mais aujourd’hui, quel que soit mon état de santé je ne céderai à personne le grand honneur de vous accueillir. Et je serai heureux de conduire Votre Majesté aux appartements que je lui ai fait préparer. J’ai fait réserver à Votre Majesté la chambre d’honneur, celle que Votre Majesté avait occupée en 1808 avec l’impératrice avant votre départ pour
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