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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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s’affolent, qu’ils multiplient, qu’ils exagèrent. Et je me demande s’ils n’obéissent pas à des ordres de Paris. Dites-moi, est-il possible d’envoyer une péniche à l’île de Ré ?
    —  Une péniche   ! Pour quoi faire   ?
    —  Je voudrais connaître par le résultat des signaux, le nombre exact des bateaux anglais. Et aussi le point de station dans les deux pertuis.
    —  Cette péniche partira demain à la première heure. Votre Majesté sera renseignée dans l’après-midi.
    —  Merci, dit l’Empereur, je sais que je peux compter sur vous.
    —  Monsieur le grand maréchal, j’aimerais connaître votre sentiment sur ces trois hommes. Vous savez que notre sort dépend de leur loyauté. Ou de leur duplicité.
    Bertrand se raclait la gorge   :
    —  Mon sentiment, sire...
    —  Enfin votre impression. Ponée ?
    —  Celui-là est loyal. Il est prêt à se faire tuer pour vous.
    —  C’est ce que je crois. Et Philibert, avec sa tête de traître de mélodrame ?
    —  Celui-là se conformera aux ordres. Il est prêt à vous sacrifier à sa carrière. On ne peut attendre de lui ni générosité ni dévouement. Il a connu une promotion exceptionnelle. Il a été fait par le roi capitaine de vaisseau au grand choix le 1 er juillet 1814 et chevalier de la Légion d’honneur le 12. Il n’attend que le retour des Bourbons.
    —  Vous croyez   ?
    —  Votre Majesté m’a demandé mes impressions...
    —  Et Bonnefous   ?
    —  C’est un homme du monde. De la distinction...
    —  On dit d’un homme qu’il est distingué quand il ne se distingue pas. Pourriez-vous me dire sans rire qu’Annibal, Charlemagne et Shakespeare étaient des hommes distingués ?
    —  Sire, c’est un préfet, et Votre Majesté connaît mieux que moi les coulisses de la charge et les méandres de la fonction. Celui-ci a déjà reçu le duc d’Angoulême et la croix de Saint Louis.
    —  Oui, mais il n’avait pas le choix.
    —  Est-ce qu’il l’a aujourd’hui ?
    —  Dans une certaine mesure, oui. Et finalement c’est de lui que tout dépend. Il lui reste une marge de manœuvre suffisante pour faire exécuter l’arrêté de la Commission, conformément à la note du 27, c’est-à-dire décider les commandants de frégate à affronter la croisière anglaise. Parce qu’il ne faut plus se faire d’illusions, les sauf-conduits ne seront jamais délivrés.
    —  Vous croyez, sire   ?
    —  Je l’ai toujours su. En demandant les sauf-conduits au gouvernement britannique, Fouché invitait implicitement l’amirauté à bloquer les pertuis. Donc je le répète, nous sommes à la discrétion de Bonnefous et c’est lui qu’il faut gagner à notre cause. Vous me laisserez seul avec lui après dîner.
    —  Une séance de séduction, sire   ?
    —  C’est au-delà de la séduction.
    —  Quoi donc alors, sire   ?
    —  Il ne s’agit pas de l’enjôler, mais de l’enrôler.
    Le café était servi dans le grand salon de la préfecture.
    —  Monsieur le préfet, vous connaissez notre situation. Il serait déshonorant pour ce pays de me livrer à nos ennemis.
    Bonnefous s’empourprait.
    —  Sire, vous n’allez tout de même pas penser...
    La flamme magnétique du regard, le sourire conquérant, la main sur l’épaule.
    —  Monsieur le préfet, j’ai totalement confiance en vous, comme en Beker. Je sais que comme lui vous remplirez votre mission en votre âme et conscience. Je sais aussi que cette mission n’est pas simple et que le temps qui passe ne fait que la compliquer. Alors il va falloir faire vite.
    —  Sire, je vais me permettre de vous faire lire le double de la note confidentielle que j’ai adressée le 29 juin à M. le ministre Decrès.
    M. de Bonnefous se levait, fouillait dans son sous-main et tendait une lettre.
    « Rochefort, 29 juin 1815
    (Très secrète.)
    Monseigneur,
    J’ai reçu vos deux dépêches expédiées par estafette extraordinaire. La première, datée du 27 de ce mois, m’est parvenue hier 28, à cinq heures vingt-cinq minutes du soir   ; la deuxième, en date du 28, m’est arrivée à minuit et demi, le 29. D’après les dispositions que j’ai prises, les deux frégates seront prêtes la nuit prochaine. Elles auront quatre mois et demi de vivres, leur équipage complet, des rafraîchissements, quelques provisions de bouche et de couchage. Elles seront prêtes à filer leur câble de corps-mort au premier ordre qu’elles recevront

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