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La Papesse Jeanne

La Papesse Jeanne

Titel: La Papesse Jeanne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Donna Cross
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pour la plaisanterie. Les souffrances de la chair, selon lui, n’étaient
que les manifestations externes d’une décadence morale et spirituelle. Puis
vint le tour de Frère Aldoard, considéré par tous comme un modèle de piété et
de vertu monastique. Il fut suivi de peu par Frère Hildwin, le sacristain, et
par plusieurs autres.
    À la grande
surprise des moines, l’abbé Raban annonça qu’il partait en pèlerinage sur le
tombeau de saint Martin, près de Tours. Il souhaitait invoquer la protection du
martyr contre la peste.
    — Le prieur
Joseph me remplacera aussi longtemps que durera mon absence, expliqua-t-il.
Obéissez-lui sans sourciller, car sa parole vaudra la mienne.
    La soudaineté de
la nouvelle et le départ précipité de l’abbé suscitèrent nombre de
commentaires. Certains moines s’empressèrent de louer la décision de Raban d’entreprendre
un voyage aussi ardu pour le salut de tous. D’autres murmurèrent qu’il s’absentait
afin d’échapper lui-même au danger.
    Jeanne n’eut pas
le temps de s’intéresser à cette polémique. Elle était occupée du matin au soir
à dire la messe, à recevoir la confession de ses frères et à administrer, de
plus en plus souvent, les derniers sacrements.
    Une nuit, elle
constata que Frère Benjamin était absent de sa place habituelle à la vigile.
Extrêmement dévot, le vieux moine ne manquait jamais l’office. Dès la fin de la
messe, Jeanne se précipita à l’infirmerie. En pénétrant dans la longue salle
rectangulaire, elle reconnut l’arôme puissant de la graisse d’oie et de la
moutarde, remèdes connus pour lutter contre les affections pulmonaires. L’infirmerie
était pleine à craquer : tous les lits étaient occupés. Les frères
affectés à l’infirmerie pour l’opus manuum circulaient entre les
malades, arrangeant les couvertures, offrant de l’eau, et priant en silence au
chevet de ceux qui étaient déjà au-delà de tout réconfort matériel.
    Frère Benjamin,
assis sur un lit, était en train d’expliquer à Frère Deodatus, un novice, la
meilleure façon d’appliquer un emplâtre à la moutarde. À l’entendre, Jeanne se
remémora le jour lointain où il lui avait fait la même leçon. Un sourire se
dessina sur ses lèvres. Si Frère Benjamin était encore capable de diriger l’infirmerie,
ses jours n’étaient certainement pas en danger.
    Une brutale
quinte de toux interrompit le discours du vieux médecin. Jeanne se hâta de
rejoindre son chevet. Ayant trempé un morceau d’étoffe dans le bol d’eau de
rose posé près du grabat, elle l’appliqua délicatement sur le front brûlant de
son maître. Comment peut-il rester lucide avec une fièvre aussi forte ?
    Benjamin cessa
enfin de tousser, s’étendit sur le dos et ferma les yeux. Son souffle était
court. Ses cheveux gris fer formaient un halo ténu autour de son visage. Ses
grosses mains de laboureur, néanmoins dotées d’une douceur et d’une habileté
extraordinaires, gisaient à plat sur la couverture, ouvertes et impuissantes
comme celles d’un nourrisson. Le cœur de Jeanne se serra.
    Frère Benjamin
ouvrit enfin les yeux, reconnut son élève, et sourit.
    — Tu es
venu, Frère Jean, souffla-t-il. C’est bien. Comme tu le vois, j’ai grand besoin
de tes services.
    — Un peu d’achillée
et d’écorce de saule en poudre auront tôt fait de vous remettre d’aplomb,
répliqua-t-elle d’un ton trop enjoué.
    Benjamin secoua
la tête.
    — C’est du
prêtre, et non du médecin, que j’ai besoin à présent. Aide-moi à passer dans l’autre
monde, mon frère, car j’en ai fini avec celui-ci.
    Jeanne lui prit
la main.
    — Je ne vous
laisserai pas nous quitter sans combattre.
    — Tu sais
déjà tout ce que j’avais à t’enseigner. Tu dois maintenant apprendre à accepter
l’inévitable.
    — Je n’accepterai
pas de vous perdre, riposta-t-elle avec feu.
     
     
    Pendant les deux
jours suivants, Jeanne lutta farouchement pour la vie de Frère Benjamin. Elle
déploya toute la science qu’il lui avait transmise, essaya tous les remèdes
auxquels elle put penser. La fièvre continuait à le consumer. Le corps replet
du vieux moine se ratatina, tel un cocon vide après l’essor du papillon. Sous
les rougeurs de la fièvre, elle décela bientôt une inquiétante lividité.
    — Absous-moi,
supplia Benjamin. Je veux recevoir les derniers sacrements en pleine possession
de mes facultés.
    À quoi bon
repousser plus longtemps

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