La Papesse Jeanne
jusqu’à Langres.
— Langres !
Ce n’est certes pas la route la plus directe.
— Mais c’est
la plus sûre. Arrivée à Langres, tu trouveras une hôtellerie destinée aux
pèlerins en partance pour le sud. Tu n’auras aucun mal à y rencontrer des
compagnons pour achever le voyage.
Jeanne hésita.
— Tu as
peut-être raison.
— Messire
Riculf a fait ce pèlerinage il y a quelques années. Il a même dessiné une
carte. Je l’ai ici.
Arn ouvrit une
malle et en sortit un parchemin qu’il déroula avec soin. Bien que noircie par
les ans, la carte dessinée à l’encre était encore nettement lisible et
indiquait bel et bien le chemin de Rome.
— Merci,
Arn, dit Jeanne. Je suivrai ta suggestion. Trois mois de plus ne me feront pas
de mal. Cela me laissera du temps à consacrer à Arnalda. Elle est très vive et
se tire fort bien de ses leçons.
— Marché
conclu, acquiesça Arn en roulant le parchemin.
— Si c’est
possible, je souhaite étudier cette carte d’un peu plus près.
— Garde-la
aussi longtemps que tu le voudras. Il faut que j’aille à la bergerie surveiller
la tonte des bêtes.
Arn s’en fut en
souriant, heureux d’avoir pu persuader Jeanne. Restée seule, celle-ci emplit à
plusieurs reprises ses poumons des douces senteurs de ce début de printemps.
Son esprit voguait sans entrave, tel un faucon enfin débarrassé de son chaperon
et rendu à la miraculeuse liberté du vent et du ciel. À cette heure, les moines
de Fulda étaient certainement rassemblés dans la pénombre de la salle du
chapitre, sur les gradins de pierre, tandis que le frère cellérier leur
débitait d’une voix monocorde les comptes de l’abbaye. Qu’il était bon de se
sentir au seuil d’une vie d’aventures !
Avec un léger
pincement d’émotion, elle se pencha sur la carte. Jusqu’à Langres, la route
était excellente. Ensuite, elle bifurquerait vers Besançon et Orbe, longerait
le lac de Saint-Maurice, et pénétrerait dans le Valais. Au pied des Alpes, une
hôtellerie monastique permettait aux pèlerins de reprendre des forces et des
provisions avant de s’attaquer au franchissement de la montagne par le mont
Joux, le plus fréquenté des cols alpins. Une fois de l’autre côté des Alpes, la
ligne droite et nette de la Via Francigena reliait Aoste à Pavie. Ensuite, elle
rallierait Bologne, traverserait la Toscane, et atteindrait Rome.
Rome !
Les plus grands
esprits de ce monde se retrouvaient dans l’antique cité. Ses églises recelaient
des trésors indicibles, ses bibliothèques conservaient la sagesse accumulée de
tous les siècles de l’histoire. Si près des tombeaux les plus sacrés de la
chrétienté, Jeanne trouverait forcément ce qu’elle cherchait. À Rome, elle
accomplirait sa destinée.
Elle était en
train de fixer une sacoche sur le dos de sa mule – Arn avait insisté pour
lui en donner une – lorsque la petite Arnalda sortit en courant de la
chaumière. Ses cheveux blonds étaient encore tout ébouriffés de sommeil.
— Où pars-tu ?
demanda-t-elle, levant sur elle de grands yeux anxieux.
Jeanne s’agenouilla
et sourit.
— À Rome,
répondit-elle, la cité merveilleuse, la cité du pape !
— Tu aimes
donc le pape plus que moi ?
Jeanne s’esclaffa.
— Je ne l’ai
jamais rencontré. Et il n’y a personne que je n’aime plus que toi, petit ange.
— Alors, ne
pars pas, fit la fillette en se jetant au cou de Jeanne. Je ne veux pas que tu
partes !
Jeanne la serra
dans ses bras. Si j’avais choisi une autre voie, j’aurais pu avoir une
petite fille comme elle – un enfant à dorloter, à embrasser, à instruire. Elle se rappela son propre sentiment de désolation le jour du départ d’Asclepios.
Il lui avait laissé un livre, afin qu’elle pût poursuivre ses études. Et elle ?
Ayant fui le monastère avec pour tout bien la robe de bure qu’elle portait,
elle n’avait rien à offrir à cette enfant.
Quoique... Elle
plongea tout à coup une main dans les replis de sa tunique et en sortit le
médaillon de bois qui ne l’avait pas quittée depuis le jour où Matthieu le lui
avait remis.
— Il
représente sainte Catherine, expliqua-t-elle. Comme toi, elle était très
intelligente, et très courageuse.
Sur ce, elle lui
conta brièvement l’histoire de la sainte. Les yeux d’Arnalda s’écarquillèrent
au fil de son récit.
— Comment
une fille pouvait-elle savoir autant de choses ?
— Tu
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