La Papesse Jeanne
à peu, le souffle du pontife redevint régulier. Il poussa un
grognement sourd, et s’évanouit.
— Conduisez-le
dans sa chambre ! ordonna-t-elle.
Plusieurs
serviteurs se hâtèrent de soulever le pape. Ils le portèrent vers les portes,
entourés d’une foule curieuse.
— Dégagez !
Faites place ! criait Jeanne.
Et elle suivit le
pape inconscient hors de la salle.
Quand on le
déposa sur son lit, le pape Serge avait repris connaissance. Jeanne lui
administra de la moutarde noire mêlée de gentiane pour le faire vomir. Son état
s’améliora de façon spectaculaire. À tout hasard, elle lui donna une forte dose
de colchique, qu’elle mélangea à quelques gouttes de jus de pavot pour l’aider
à trouver le sommeil.
— Il dormira
jusqu’au matin, glissa-t-elle à Arighis.
Le vice-dominus
acquiesça.
— Tu sembles
épuisé, remarqua-t-il.
— Je suis
fatigué, en effet, admit Jeanne.
La journée lui
avait paru d’autant plus longue qu’elle n’était pas encore remise de ses
longues semaines de cachot.
— Ennodius
et les autres médecins de la société t’attendent derrière cette porte. Ils
veulent t’interroger sur la rechute de Sa Sainteté.
Jeanne soupira.
Elle ne se sentait pas d’humeur à essuyer une pluie de questions hostiles,
mais, manifestement, elle n’avait pas le choix. À pas lents, elle se dirigea
vers la sortie.
— Un
instant, dit Arighis.
Il lui fit signe
de le suivre. À l’autre bout de la pièce, il écarta une tapisserie murale et
plaqua une main sur le mur. Celui-ci coulissa silencieusement, dégageant une
ouverture de deux pieds et demi environ.
— Qu’est
ceci ? souffla Jeanne, estomaquée.
— Un passage
secret, expliqua Arighis. Construit au temps des empereurs païens, pour leur
permettre d’échapper promptement à leurs ennemis. À présent, il relie la
chambre du pape à sa chapelle privée, ce qui permet au Vicaire du Christ d’aller
sans être dérangé prier à toute heure du jour et de la nuit. Viens, ajouta le
vice-dominus en se glissant dans la faille après avoir pris une chandelle. Ce
subterfuge te permettra d’éviter cette horde de hyènes, du moins pour ce soir.
Jeanne fut
touchée du geste d’Arighis, signe d’un respect et d’une confiance croissants.
Ils descendirent un étroit escalier en colimaçon et débouchèrent face à un mur
dans lequel était encastré un levier de bois. Arighis l’abaissa, et le mur
coulissa, ouvrant un second passage. Jeanne s’engagea dans la brèche, et le
vice-dominus actionna de nouveau le levier. Le mur se referma sans laisser la
moindre trace du passage secret.
Elle se trouvait
derrière un pilier de marbre, au fond du Sanctum Sanctorum, la chapelle privée
du pape. Deux voix sourdes parlaient à proximité de l’autel. Elle en fut
surprise. Personne n’était censé se trouver là à pareille heure de la nuit.
— Le temps a
passé, Anastase, dit une voix bourrue, chargée d’un fort accent que Jeanne
reconnut aussitôt.
C’était celle de
Lothaire. Il venait d’appeler son vis-à-vis Anastase. Sans doute s’agissait-il
de l’évêque de Castellum. À l’évidence, les deux hommes s’étaient retirés dans
la chapelle pour parler en toute discrétion. Ils pouvaient ne pas voir son
intrusion d’un très bon œil.
Que dois-je
faire ? se demanda Jeanne. Si elle tentait de
se couler sans bruit jusqu’à la porte de la chapelle, elle risquait d’être
repérée. Elle ne pouvait pas davantage revenir sur ses pas jusqu’à la chambre
du pape : le levier commandant le passage se trouvait de l’autre côté du
mur. Il ne lui restait plus qu’à rester cachée là en attendant la fin de ce
conciliabule et le départ des deux hommes. Ensuite, il lui serait facile de se
faufiler hors de la chapelle sans être remarquée.
— Très
inquiétante, l’attaque dont vient d’être victime Sa Sainteté, remarqua
Lothaire.
— Le Vicaire
du Christ est gravement malade, répliqua Anastase. Il se peut qu’il ne survive
pas à cette année.
— Ce serait
une grande tragédie pour l’Église.
— Immense,
acquiesça Anastase avec componction.
— Son
successeur devra être un homme de force et de vision. Un homme capable de mieux
apprécier la... compréhension historique qui unit nos deux peuples.
— Il vous
faudra user de toute votre influence, mon roi, pour vous assurer que le
prochain pontife soit un homme de cette trempe.
— Feriez-vous
allusion à...
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