La Papesse Jeanne
sang-froid.
— Bien sûr,
finit-il par lâcher. Je me souviens fort bien de ta sœur.
Agacé, Lothaire
intervint.
— Il suffit.
Qu’êtes-vous venu me dire, comte ?
— Mon
message s’adresse à vos seules oreilles, mon roi.
— Soit, fit
l’empereur, hochant la tête. Que les autres se retirent. Nous nous reverrons,
Anastase.
Au moment où
Jeanne faisait mine de partir, Gerold lui posa une main sur le bras.
— Attends-moi
dehors, lui dit-il. J’aimerais te poser quelques questions... sur ta sœur.
À l’extérieur de
la chapelle, tandis qu’Anastase s’en allait, Jeanne attendit en faisant
nerveusement les cent pas sous l’œil morne de l’écuyer de Lothaire. Sa
situation était plus que périlleuse. Au premier mot de travers, sa véritable
identité pouvait être révélée. Je devrais m’enfuir sans tarder, avant que
Gerold ne ressorte. D’un autre côté, elle brûlait d’envie de le revoir.
Elle resta donc, figée par un singulier mélange d’impatience et de peur.
La porte de la
chapelle s’ouvrit. Gerold parut.
— Est-il
possible que ce soit toi ? demanda-t-il, incrédule, en marchant
droit sur elle. Mais comment... ?
L’écuyer de
Lothaire les observait avec une intense curiosité.
— Pas ici,
chuchota Jeanne.
Elle le conduisit
jusqu’à la minuscule officine où elle gardait ses herbes et autres remèdes. À l’intérieur,
elle alluma une lampe à huile, qui les enveloppa tous deux d’un pâle cercle de
lumière.
Pendant un temps
infini, ils se contemplèrent, grisés par l’émerveillement de la redécouverte.
En quinze ans, Gerold avait changé. Son épaisse crinière de feu était désormais
striée de gris ; des sillons nouveaux creusaient les coins de ses yeux de
saphir et de sa bouche malicieuse. Il restait néanmoins le plus bel homme que
Jeanne eût jamais vu. Son cœur se mit à battre la chamade.
Gerold fit un pas
vers elle, et tout à coup, ils furent dans les bras l’un de l’autre, s’étreignant
si fort que Jeanne sentit à travers son épaisse robe de prêtre les mailles de
fer de la cotte de son ami.
— Jeanne,
murmura-t-il. Mon amour, ma perle... Jamais je n’aurais cru te revoir !
— Gerold...
put-elle seulement balbutier.
L’index du comte
suivit le tracé de la cicatrice qui lui barrait la joue gauche.
— Les
Normands ?
— Oui.
Il se pencha sur
elle et déposa un léger baiser sur la balafre.
— Ils t’ont
donc enlevée ? Comme Gisla ?
Gisla ! Il ne fallait surtout pas qu’il sache – jamais – quel
horrible calvaire avait enduré sa fille aînée.
— Ils ont
pris Gisla. Moi, je... j’ai réussi à m’enfuir.
— Comment ?
Et où donc ? Mes hommes et moi avons maintes fois battu la campagne sans
retrouver la moindre trace de toi !
Elle lui conta
brièvement ce qui s’était passé : son départ vers Fulda, son admission
sous l’identité de Jean Anglicus, sa fuite de l’abbaye, son pèlerinage à Rome,
et les circonstances qui avaient fait d’elle le médecin particulier du pape.
— Et pendant
tout ce temps, dit Gerold quand elle eut fini, tu n’as jamais songé à me
prévenir ?
Jeanne décela
sans peine le chagrin qui altérait sa voix.
— Je... je
doutais que tu veuilles encore de moi. Richild m’avait affirmé que l’idée de me
marier au fils du maréchal- ferrant venait de toi, que tu l’avais expressément
chargée de tout arranger en ton absence.
— Et tu l’as
crue ? demanda-t-il en la relâchant soudain. Par le ciel, Jeanne, j’aurais
pensé que tu me connaissais mieux que cela !
— À vrai
dire, je ne savais que penser. Tu étais parti. Je ne pouvais deviner le
véritable motif de ton absence. Et Richild savait tout. Elle savait précisément
ce qui s’était passé entre nous au bord du ruisseau. Comment aurait-elle pu le
savoir si tu ne le lui avais pas dit ?
— J’ignore
comment elle l’a appris. Tout ce que je sais, c’est que je t’aimais comme je n’avais
jamais aimé... et comme je n’ai plus jamais aimé depuis lors, fit-il d’une voix
rauque d’émotion. Sur le chemin du retour, j’ai poussé Pistis presque au-delà
de ses forces, tant j’étais avide de revoir enfin les tours de Villaris, et c’est
uniquement parce que je savais que tu étais là-bas. Je brûlais d’impatience de te
revoir, Jeanne... pour te demander de devenir ma femme.
— Ta femme ?
répéta Jeanne, sidérée. Mais... Richild ?
— Quelque
chose s’est
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