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La Papesse Jeanne

La Papesse Jeanne

Titel: La Papesse Jeanne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Donna Cross
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un enfant.
     
     
    Anastase ôta ses
cothurnes de velours et s’étendit sur le divan. Bonne journée, se
dit-il, satisfait de lui-même. Oui, la journée a été excellente. Ce
matin, il avait brillé à la cour impériale. Sa perspicacité et son érudition
avaient fait forte impression sur Lothaire et sa suite.
    L’empereur lui
avait demandé de donner son opinion sur De corpore et sanguine Domini, traité qui causait un grand tumulte chez les théologiens francs. Écrit par
Paschase Radbert, abbé de Corbie, ce texte avançait une théorie des plus
audacieuses, selon laquelle l’Eucharistie, loin d’être une représentation
symbolique, contenait réellement le corps et le sang du Christ, « celui
qui est né de Marie, qui a souffert sur la croix, et qui s’est relevé de sa
tombe ».
    — Qu’en
penses-tu, cardinal Anastase ? avait lancé Lothaire. L’hostie est-elle
vraiment le Corps du Christ ?
    Anastase gardait
une réponse toute prête.
    — L’Eucharistie
est un symbole, sire. Car il est aisé de démontrer que Christ possède deux
corps distincts ; le premier enfanté par Marie, et le second représenté
dans l’Eucharistie. Hoc est corpus meum, a dit Jésus en rompant le pain
lors de la Cène. « Ceci est mon corps. » Or, il était encore
physiquement présent avec ses disciples lorsqu’il a proféré ces mots. À l’évidence,
il les entendait donc au sens figuré.
    L’argument était
si subtil que tout le monde l’applaudit. Lothaire le félicita en le décrivant
comme « un second Alcuin ». Ayant arraché plusieurs poils de sa
barbe, il les offrit à Anastase  – un geste d’insigne distinction au sein
de ce peuple étrange et barbare.
    Anastase sourit,
encore tout imbu du plaisir de ce glorieux moment. Ayant versé un peu de vin
dans une coupe d’argent, il attrapa le rouleau de parchemin contenant la
dernière lettre de son père. Il rompit le sceau de cire. Déroula la fine
feuille de vélin blanc. Ses yeux parcoururent avidement les lignes, puis s’arrêtèrent
sur le récit du vol des dépouilles de saint Marcellin et de saint Pierre.
    La profanation
des sépultures de saints n’avait rien d’inhabituel. Tous les sanctuaires
chrétiens du monde faisaient étalage de leurs reliques afin d’attirer des
cohortes de fidèles en mal de miracles. Des siècles durant, les Romains avaient
fait leurs choux gras de cette universelle obsession en organisant le commerce
régulier des reliques. Les pèlerins sans nombre qui affluaient vers la cité sainte
étaient prêts à verser des sommes substantielles pour acquérir une phalange de
saint Damien, une clavicule de saint Antoine ou un cil de sainte Sabine.
    Cependant, les
ossements de saint Marcellin et de saint Pierre n’avaient pas été vendus :
quelqu’un les avait volés, ignominieusement arrachés à leurs sépultures en
pleine nuit et transportés hors de la ville. Furta sacra  – le vol
des choses sacrées  –, ainsi dénommait-on cette sorte de crime. Il était
nécessaire de punir les coupables, sans quoi l’on risquait de voir la ville se
vider de ses plus grands trésors.
    « Suite à ce
vol infâme, écrivait son père, nous avons tous demandé au pape Jean de doubler
le nombre des gardes postés dans les églises et cimetières. Mais le souverain
pontife refuse. À l’en croire, la milice est mieux employée au service des
vivants qu’à celui des morts. »
    Anastase savait
déjà que Jean avait affecté l’essentiel des effectifs de la milice pontificale
à la construction d’écoles, d’hospices et de maisons d’accueil. Il consacrait
son temps et son attention  – sans parler des finances papales  – à
des projets séculiers de cet ordre, pendant que se languissaient les églises de
Rome. Celle du père d’Anastase n’avait pas reçu la moindre lampe en or ni le
moindre candélabre d’argent, depuis le sacre de Jean Anglicus. Et cependant,
les innombrables cathédrales, oratoires, baptistères et chapelles de Rome
étaient la gloire de la ville. Or, il fallait bien que ces édifices fussent en
permanence embellis et agrandis si la cité sainte souhaitait éclipser en splendeur
sa rivale orientale, Constantinople, qui déjà se faisait effrontément appeler « la
nouvelle Rome ».
    Anastase se
promit de faire en sorte que les choses soient différentes quand il serait
pape. Il ramènerait Rome au temps de sa gloire. Sous sa houlette, les églises
de la ville ruisselleraient de

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