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La Papesse Jeanne

La Papesse Jeanne

Titel: La Papesse Jeanne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Donna Cross
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semaine, et
ses leçons étaient la chose au monde la plus importante à ses yeux.
    Mais qu’il était
ardu de s’instruire, perpétuellement confrontée au poids du déplaisir maternel !
Asclepios avait lui aussi remarqué l’hostilité de Gudrun, mais il la mettait
sur le compte du fait que Jeanne, en étudiant, se trouvait détournée de ses
tâches domestiques. La fillette, elle, en connaissait la véritable raison. Son
apprentissage était considéré comme une trahison, une violation du monde secret
qu’elle ne partageait qu’avec sa mère  – un monde peuplé de dieux et de
mystères saxons. En apprenant le latin, en étudiant les textes chrétiens,
Jeanne allait vers ce que sa mère honnissait par-dessus tout : le Dieu
chrétien qui avait ravagé sa patrie et, plus concrètement, le chanoine, son
époux.
    En vérité, Jeanne
étudiait surtout des textes classiques pré-chrétiens. Asclepios vénérait les
œuvres « païennes » de Cicéron, Sénèque, Lucain et Ovide, condamnées
par la plupart des clercs. Il lui enseignait le grec en s’appuyant sur des
textes fort anciens de Ménandre et d’Homère, qui n’étaient que blasphème aux
yeux du chanoine. Habituée par son maître à apprécier avant tout la clarté et
le style, Jeanne ne s’était jamais demandé si la poésie d’Homère était
acceptable au regard de la doctrine chrétienne. Ces vers étaient si beaux que
Dieu les habitait forcément.
    Elle eût aimé
expliquer ces choses à sa mère, mais savait que cela ne changerait rien. Homère
ou Bède le Vénérable, Cicéron ou saint Augustin  – ces noms illustres,
dans l’esprit de Gudrun, se valaient tous. Ils n’étaient pas saxons. Rien d’autre
ne comptait.
    Jeanne,
distraite, fit une grosse tache d’encre sur son parchemin. Levant la tête, elle
rencontra aussitôt le regard pénétrant d’Asclepios.
    — N’aie
crainte, mon enfant, murmura-t-il, d’une voix étonnamment douce pour un homme
qui ne tolérait guère la distraction. Ce n’est pas grave. Recommence ici.
     
     
    Les villageois d’Ingelheim
étaient rassemblés autour de l’étang communal. Une sorcière devait être jugée
ce jour-là, événement propre sans aucun doute à susciter de l’horreur, de la
pitié, et une jubilation bienvenue pour fournir un répit dans le cycle sans fin
des corvées quotidiennes.
    — Benedictus ! proclama le chanoine en faisant le geste de bénir l’eau de la mare.
    Hrotrud tenta de
s’enfuir, mais fut aussitôt rattrapée par deux hommes, qui la ramenèrent devant
le chanoine. Elle jura et se débattit, mais ses gardiens réussirent néanmoins à
lui lier les mains dans le dos au moyen de chiffons de lin. Elle poussa un cri
de douleur lorsqu’ils serrèrent le nœud autour de ses poignets.
    — Maleficia, chuchota quelqu’un au bord de la foule, tout près de l’endroit où
se tenaient Jeanne et Asclepios. Saint Bar- nabé, préserve-nous du mauvais œil !
    Asclepios ne dit
rien, mais secoua tristement la tête. Il était arrivé à Ingelheim ce matin de
bonne heure pour donner sa leçon hebdomadaire, mais le chanoine avait ordonné à
ses enfants d’assister au procès de Hrotrud, ancienne sage-femme du village.
    — Vous en
apprendrez plus long sur les voies du Seigneur en observant son jugement qu’en
lisant tous les textes païens du monde, s’était-il justifié, non sans un regard
appuyé pour Asclepios.
    Si Jeanne n’appréciait
pas de manquer sa leçon, elle était curieuse de suivre le procès, n’ayant
jamais vu quiconque être jugé pour sorcellerie. Elle regrettait cependant que l’accusée
fût Hrotrud. Elle aimait cette femme, honnête et sans fourberie. Hrotrud l’avait
toujours courtoisement traitée, sans chercher à la tourner en ridicule comme la
plupart des gens du village. Gudrun lui avait raconté le rôle crucial joué par
la sage-femme dans sa venue au monde  – un véritable supplice, soit dit en
passant, où la mère et la fille n’avaient eu la vie sauve que grâce à l’intervention
de Hrotrud. Tout en promenant son regard sur la foule, Jeanne se dit que cette
femme avait dû aider à naître la majeure partie des personnes présentes  –
du moins celles qui avaient plus de six ans. À lire la haine qui brillait dans
les regards, nul n’aurait pu s’en douter. Depuis que la maladie, en paralysant
ses mains, l’empêchait d’exercer sa profession, la pauvre femme vivait de la
charité de ses voisins, ainsi que du

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