La Papesse Jeanne
Et n’oublie pas
de soutenir le regard de tous ceux qui te parleront. Ton patronyme est parmi
les plus grands. Tu ne dois jamais paraître déférent.
Anastase redressa
ses épaules et haussa le menton. Il était petit pour son âge, ce qui était pour
lui une source de tourment perpétuelle, mais s’efforçait en permanence, par son
attitude, de se grandir autant que possible. Ses yeux ayant commencé à s’adapter
à l’obscurité, il promena autour de lui un regard curieux. C’était sa première
visite au Latran, majestueuse demeure du pape et siège de tous les pouvoirs.
Anastase était intimidé. Les entrailles de ce palais formaient une structure
gigantesque, qui contenait non seulement les archives de l’Église et la Chambre
au Trésor, mais aussi des dizaines d’oratoires, de triclinia [1] et de
chapelles – parmi lesquelles le Sanctum Sanctorum, la fameuse chapelle
privée des papes. Face à Anastase, sur le mur du grand vestibule, était
affichée une énorme tabula mundi, carte annotée qui représentait le
monde comme un disque plat entouré d’océans. Les trois continents – l’Asie,
l’Afrique et l’Europe – étaient séparés par deux puissants fleuves, le
Tanaïs et le Nil, ainsi que par la mer Méditerranée. Au centre exact de la
terre, bordée à l’est par le paradis terrestre, se dressait la cité sainte de
Jérusalem. Anastase observa longuement la mappemonde. Son attention était
surtout attirée par les immenses espaces vierges, à la fois mystérieux et
effrayants, qui occupaient ses confins, à la lisière des ténèbres.
Un homme
approcha, vêtu de la dalmatique de soie blanche caractéristique des membres de
la maison papale.
— Veuillez
accepter le salut et la bénédiction de notre Très Saint Père le papePascal,
déclara-t-il.
— Puisse-t-il
vivre de longues années, répliqua le père d’Anastase, afin qu’il nous soit
donné de continuer à prospérer sous sa houlette bienveillante.
Une fois les
formalités d’usage accomplies, les deux hommes se détendirent.
— Eh bien,
Arsène, dit l’homme en dalmatique, comment te portes-tu ? Je suppose que
tu es ici pour voir Théodore ?
Le père d’Anastase
acquiesça.
— En effet.
Je voudrais conclure la nomination de mon neveu Cosme au poste d ’arcarius [2] . Le
paiement, ajouta-t-il en baissant le ton, remonte à plusieurs semaines. Je ne
comprends pas ce qui a pu retarder autant l’annonce officielle.
— Ces
derniers temps, Théodore a eu fort à faire, notamment à cause de cette vilaine
querelle sur la possession du monastère de Farfa. Le Saint Père a été fort
contrarié par la décision de la cour impériale.
L’homme se pencha
vers Arsène et ajouta, sur le ton de la conspiration :
— Il n’a pas
davantage apprécié de voir Théodore se faire le champion de la cause de l’empereur.
Autant t’y préparer : il est possible que Théodore ne puisse pas faire
grand-chose pour toi en ce moment.
— J’y ai
pensé, fit le père d’Anastase avec un haussement d’épaules. Cela dit, il est
toujours primicerius [3] et le paiement a été effectué.
— Nous
verrons.
La conversation s’interrompit
brusquement. Un troisième personnage s’approcha, lui aussi vêtu d’une
dalmatique blanche. Anastase, debout à côté de son père, se raidit un peu plus.
— Puisse la
bénédiction du Très Saint Père t’accompagner, Sarpatus, dit Arsène.
— Toi aussi,
mon cher Arsène, toi aussi, répondit le nouveau venu, dont la bouche était
étrangement tordue, avant de se tourner vers le troisième homme. Eh bien,
Lucien, tu semblais à l’instant tout à fait fasciné par les propos d’Arsène...
Se peut-il qu’il y ait du nouveau, quelque chose d’intéressant ? Je ne
demande pas mieux que de l’entendre. Depuis le départ de l’empereur, la vie est
si ennuyeuse !
— Non, bien sûr que non. Sinous avions des nouvelles, tu sais
bien que je t’en ferais part.
Lucien, nerveux,
s’adressa ensuite au père d’Anastase.
— Je te
laisse, Arsène. Mes devoirs m’appellent.
Il s’inclina et s’en
fut d’un pas alerte. Sarpatus secoua la tête.
— Lucien est
très tendu depuis quelque temps. Je me demande bien pourquoi, soupira-t-il,
avec un regard appuyé pour le père d’Anastase. Enfin, peu importe ! Je
vois que tu n’es pas venu seul.
— Oui.
Puis-je te présenter mon fils Anastase ? Il subira bientôt l’examen qui
lui permettra de devenir
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