Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Papesse Jeanne

La Papesse Jeanne

Titel: La Papesse Jeanne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Donna Cross
Vom Netzwerk:
certes
pas la sauvagerie de son geste qui faisait jaser. Les brutalités de cet ordre
étaient monnaie courante. Le forgeron n’avait-il pas réduit en miettes tous les
os du visage de sa femme à force de coups de pied, simplement parce qu’il ne
supportait plus d’être houspillé ? La malheureuse était défigurée à vie,
mais personne n’y pouvait rien. L’homme était seul maître chez lui. L’unique
loi susceptible de limiter son pouvoir concernait la taille du gourdin qu’il
avait le droit d’utiliser pour châtier les siens.
    Or, le chanoine
ne s’était pas servi d’un gourdin.
    Ce qui intriguait
plutôt les villageois, c’était la façon dont leur guide spirituel avait soudain
perdu tout sang-froid. Une telle frénésie de violence avait quelque chose de
surprenant de la part d’un homme de Dieu, et ce fait réjouissait les bonnes
gens d’Ingelheim. Le chanoine ne leur avait pas fourni une aussi belle matière
à ragots depuis qu’il avait ramené la Saxonne pour la fourrer dans son lit. Les
langues allaient donc bon train, ne s’interrompant que lorsque l’intéressé
passait dans les parages.
    Jeanne ne sut
rien de tout cela. Après l’avoir battue, son père interdit à quiconque, pendant
une journée entière, de l’approcher. Toute la nuit, et toute la journée du
lendemain, elle resta inanimée sur le sol de la maison. La terre battue collait
à ses chairs lacérées. Quand sa mère reçut enfin la permission de la soigner,
une fièvre dangereuse s’était emparée d’elle.
    Gudrun prit soin
de sa fille avec une grande sollicitude. Elle nettoya ses plaies à l’eau
fraîche, puis au vin. Ensuite, elle leur appliqua un onguent apaisant à base de
feuilles de mûrier.
    Tout est de la
faute du Grec , se disait-elle, amère, en tâchant de
faire boire à Jeanne, goutte par goutte, un chaud breuvage au lait caillé. Quelle idée de lui offrir un livre, de lui farcir la tête d’idées absurdes... Une fille n’était pas faite pour l’étude. Jeanne était son enfant. Elle
aurait dû rester toujours auprès de sa mère, partager avec elle la langue et
les mystères de son peuple, afin de devenir le baume de ses vieux jours. Maudite soit l’heure où le Grec a franchi le seuil de cette maison. Puisse le
courroux de tous les dieux s’abattre sur lui !
    D’un autre côté,
la fierté de Gudrun n’avait pas été peu flattée par le déploiement de bravoure
de sa fille. Jeanne avait défié son père avec la force héroïque de ses ancêtres
saxons. Elle aussi, jadis, avait su se montrer forte et brave. Mais de longues
années d’exil et d’humiliation avaient eu raison de sa volonté de combattre. Du moins, se dit-elle, notre sang n’est-il pas mort. Le courage de mon
peuple court dans les veines de ma fille.
    Elle s’interrompit
pour flatter la gorge de Jeanne, comme pour l’encourager à avaler le
bienfaisant liquide. Guéris, ma petite caille. Guéris, et reviens-moi.
     
     
    La fièvre tomba
au matin du neuvième jour. En ouvrant les yeux, Jeanne trouva Gudrun penchée
sur elle.
    — Mère ?
lâcha-t-elle, d’une voix si rauque qu’elle la reconnut à peine.
    — Te voilà
donc enfin de retour parmi nous, ma petite caille, répondit Gudrun en souriant.
J’ai cru te perdre.
    Jeanne voulut s’asseoir,
mais retomba lourdement sur la paille. La violente douleur qui venait de la
transpercer raviva d’odieux souvenirs.
    — Mère... Le
livre ?
    Les traits de
Gudrun s’assombrirent.
    — Ton père
en a effacé chaque page avant de demander à Jean d’y écrire d’autres inepties.
    Tout était fini.
Jeanne se sentit envahie d’une formidable faiblesse. Elle avait sommeil.
    Gudrun souleva un
bol de bois empli d’un liquide fumant.
    — Tu dois
manger pour reprendre des forces, décréta- t-elle. Je t’ai préparé un bon
potage.
    — Non, fit
Jeanne, secouant la tête. Je n’en veux pas.
    Elle n’avait
nulle envie de retrouver ses forces. Elle ne désirait que mourir. À quoi bon
vivre, si elle n’avait pas la moindre chance d’échapper à la vie confinée d’Ingelheim ?
Elle était prise au piège, sans espoir de salut.
    — Bois au
moins une gorgée, insista Gudrun. Si tu veux, pendant ce temps, je te chanterai
une de nos vieilles chansons.
    Jeanne détourna
la tête.
    — Laisse
donc ces balivernes aux prêtres, reprit sa mère en lui caressant le front. N’avons-nous
pas nos propres secrets, toi et moi, ma petite caille ? Nous continuerons
de

Weitere Kostenlose Bücher