La Papesse Jeanne
Ou
s’agissait-il de saint Jérôme ? Peu importait. Odo avait toujours cru à sa
vérité, et il lui était donné à présent d’en contempler la preuve de ses
propres yeux !
Il flatta l’encolure
de sa mule. Brave bête, tu auras double ration ce soir. Il se ravisa
aussitôt. Le fourrage était fort cher, et après tout, ce stupide animal n’avait
fait que suivre les voies du Seigneur.
Odo se hâta de
regagner le sentier à pied. Sa visite attendrait. Il était impératif de faire
un crochet par Villaris.
Peu après, les
tours du château apparurent à l’horizon. Dans sa hâte, il avait marché plus
vite qu’à l’ordinaire. Le clerc franchit la haute palissade et fut accueilli
par un garde. D’un geste impatient, il coupa court aux politesses.
— Conduis-moi
à dame Richild, ordonna-t-il. Je dois lui parler sur-le-champ.
Gerold dénoua les
bras de Jeanne, qui emprisonnaient sa nuque, et recula d’un pas.
— Viens,
dit-il d’une voix tremblante d’émoi. Rentrons.
Grisée d’amour,
Jeanne voulut l’embrasser encore.
— Non,
lâcha-t-il avec fermeté. Je dois te ramener dès maintenant, tant que j’en ai
encore la volonté.
Elle leva sur lui
un regard brouillé.
— Vous ne...
voulez pas de moi ? demanda-t-elle timidement, baissant la tête.
Gerold la força à
redresser le menton.
— Je te veux
plus que je n’ai jamais voulu aucune femme.
— Dans ce
cas, pourquoi... ?
— Par le
sang de Dieu, Jeanne ! Je suis un homme, et j’ai des désirs d’homme. Ne me
tente pas au-delà de mes limites !
Voyant naître
deux larmes dans les yeux de sa pupille, il adoucit le ton et ajouta :
— Que
veux-tu que je fasse, ma perle ? Que je fasse de toi ma maîtresse ?
Crois-moi, Jeanne, je te prendrais sur-le-champ, sur ce lit d’herbes, si je
pensais pouvoir te rendre heureuse. Mais ne vois-tu pas que je signerais ta
perte en me conduisant de la sorte ?
Son regard de
saphir, impérieux, était vrillé sur elle. Le souffle de Jeanne se fit court.
Elle ne souhaitait qu’une chose : qu’il la reprît dans ses bras.
Gerold effleura
une boucle d’or pâle. Elle voulut parler, mais sa voix se brisa. Folle de honte
et de frustration, elle inspira profondément pour maîtriser son émoi.
— Viens.
Il lui prit la
main. Elle se laissa guider vers le sentier sans protester. En silence, les doigts
noués, ils se mirent en marche vers Villaris.
11
— Dame
Richild, comtesse de Villaris, annonça le héraut au moment où la femme de
Gerold faisait son entrée solennelle dans la grande salle d’audience de l’évêché.
— Je vous
salue, monseigneur, déclara-t-elle avec une ample révérence.
— Soyez la
bienvenue, répondit Fulgence. M’apportez- vous des nouvelles de votre seigneur
et maître ? Puisse Dieu l’avoir préservé de toute infortune au cours de
son voyage !
— Rassurez-vous.
Richild se
réjouissait de trouver l’évêque si transparent. Le prélat s’interrogeait à coup
sûr sur le motif de sa visite. Gerold étant parti depuis cinq jours, laps de
temps largement suffisant pour affronter toutes sortes de dangers sur les
routes, il devait se poser des questions.
— Nous n’avons
reçu aucune mauvaise nouvelle, monseigneur, et n’en attendons pas. Gerold s’en
est allé avec vingt hommes bien armés et bien approvisionnés. Et dans la mesure
où il est en mission pour l’empereur, il se gardera bien de prendre le moindre
risque en chemin.
— Je l’ai
entendu dire, en effet. On l’a nommé missus en Westphalie, c’est bien
cela ?
— Oui. Pour
régler un conflit ayant trait au prix du sang. Mais comme il sera également
appelé à trancher diverses querelles de voisinage, il ne devrait pas être de
retour avant une demi-lune.
Le temps qu’il
me faut, se dit-elle. Exactement le temps qu’il
me faut.
Ils s’entretinrent
brièvement d’affaires locales – de la pénurie de grain au moulin, de la
nécessaire réfection du toit de la cathédrale, du grand nombre de veaux nés ce
printemps-là. Richild prenait soin de respecter une indispensable courtoisie,
mais se gardait d’aller plus loin. Je suis de meilleure souche que lui. Fallait-il le lui rappeler avant d’en venir à l’objet de sa visite ? À l’évidence,
il ne soupçonnait rien. Tant mieux : la surprise serait sa meilleure
alliée.
Ayant jugé le
moment venu, elle dit :
— Monseigneur,
je suis venue solliciter votre aide pour une affaire
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