La Papesse Jeanne
ton détaché, je viens de recevoir une lettre de mon cousin
Sigismond, l’évêque de Troyes.
Les traits de l’évêque
s’emplirent de respect.
— Un grand
homme, ma dame, un grand homme.
— Savez-vous
qu’il doit présider le synode qui se tiendra à Aix cet été ?
— Je l’ai
entendu dire.
— Dans ce
cas, vous savez peut-être aussi quel y sera le principal thème de discussion ?
— J’aimerais
beaucoup l’apprendre, répondit Fulgence.
— Il s’agit
de corriger certains... écarts dans la conduite de la dignité épiscopale.
— Des écarts ?
Il ne saisissait
toujours pas. Elle allait devoir être directe.
— Mon cousin
a l’intention de débattre longuement de la question des vœux épiscopaux, et en
particulier du vœu de chasteté.
Fulgence pâlit.
— Vraiment ?
— Ce sera
semble-t-il la grande affaire du synode. Sigis- mond a rassemblé nombre de
preuves gênantes concernant les évêchés francs. Mais il n’est guère familier de
cette partie de l’empire, et devra se contenter de témoignages locaux. Dans sa
missive, il me prie expressément de lui faire part de toute information dont je
pourrais disposer sur votre évêché, monseigneur. J’aurais dû lui
répondre plus promptement, mais l’affaire du mariage de cette fille m’a tenue
fort occupée. À dire vrai, les préparatifs de la noce m’empêcheraient tout à
fait de répondre à mon cousin. En revanche, si le mariage est reporté...
Fulgence resta
silencieux et immobile comme une statue. Richild en fut vaguement surprise.
Elle ne s’était pas attendue à une telle résistance.
Mais un détail
finit par trahir l’évêque. Une imperceptible étincelle de peur dansait dans ses
prunelles.
Richild sourit.
D’humeur
mélancolique, Jeanne était assise sur un rocher. Son loup était couché à ses
pieds, la tête posée sur ses genoux, et fixait sur elle son regard opalescent.
— Il te
manque aussi, n’est-ce pas ? demanda-t-elle en caressant sa robe blanche.
Elle se sentait
seule. Gerold était parti depuis plus d’une semaine. Jeanne souffrait
cruellement de son absence, presque dans sa chair. Elle aurait pu placer sa
main sur le point de sa poitrine où la douleur était la plus vive.
Elle comprenait
la raison de son départ. Après leur baiser au bord du ruisseau, il avait été
contraint de s’éloigner. Elle et lui avaient besoin d’être séparés, besoin de
temps pour laisser retomber la chaleur des passions. Elle comprenait, mais son
cœur n’en souffrait pas moins.
Elle tâchait de
se raisonner, de se répéter que les choses devaient être ainsi, que tout était
pour le mieux, mais au bout du compte, elle se retrouvait invariablement
confrontée au même fait : elle aimait Gerold.
Furieuse contre
elle-même, elle secoua la tête. Si Gerold avait eu le courage de prendre ses
distances pour son salut à elle, avait-elle le droit d’être indigne de lui ?
Il fallait bien supporter ce qu’on ne pouvait changer. À son retour, se
dit-elle, pleine d’espoir, les choses seraient différentes. Elle se satisferait
de l’avoir près d’elle, de parler et de rire avec lui, comme... avant. Comme
avant, ils seraient maître et élève, prêtre et nonne, frère et sœur. Elle
effacerait de sa mémoire le souvenir de son torse palpitant, de ses lèvres
douces...
Wido, l’intendant,
arriva derrière elle.
— Dame
Richild veut te parler, Jeanne.
Accompagnée de
Luc, Jeanne le suivit sous le rempart. Une fois arrivé dans la cour intérieure,
Wido lui dit :
— Le loup
reste ici.
Richild n’aimait
pas les animaux et leur interdisait l’entrée de sa maison. Jeanne ordonna à Luc
de se coucher et de l’attendre. Un garde la conduisit sous le portique et jusqu’à
la grande salle, où de nombreuses servantes préparaient le repas du soir. L’ayant
traversée, ils gagnèrent la terrasse, où attendait la maîtresse de Villaris.
— Vous m’avez
mandée, ma dame ?
— Assieds-toi.
Jeanne se dirigea
vers un fauteuil, mais la comtesse, d’un geste impérieux, lui désigna un
tabouret de bois installé devant un petit pupitre. Jeanne y prit place.
— Tu écriras
sous ma dictée, décréta Richild.
Comme toutes les
nobles dames de Frise, elle ne savait ni lire ni écrire. Wala, le chapelain du
manoir, lui servait d’habitude de scribe. Wido avait également quelques notions
d’écriture et prêtait parfois sa plume à sa maîtresse.
Que me
veut-elle ?
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